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toutes les merveilles de la civilisation moderne. Quand M. Arnoux se leva pour sortir, il comptait dans la reine une protectrice, une amie de plus. C’est une femme de trente-cinq ans environ, aux manières élégantes et d’un remarquable bon sens ; aussi Minylik la consultait-il souvent.

Les jours suivans, le roi se plaisait à venir surprendre son hôte, accompagné seulement de quelques pages, dont l’un, Ato Mokanen, fils d’Azadj Woldé Mikael, avait toute sa confiance. Mettant à profit cette intimité, M. Arnoux cherchait à développer dans l’esprit du roi le goût des connaissances utiles. Un jour il lui faisait cadeau de sa boîte de pharmacie, et, après l’avoir instruit de l’emploi des médicamens, lui dictait les étiquettes et les formules en amarina pour qu’il pût s’en servir à l’occasion ; une autre fois, il lui apprenait à reconnaître les chiffres français inscrits sur les factures et les paquets de marchandises ; le royal élève, dont l’intelligence ouverte saisissait rapidement toutes les leçons, prit un tel goût pour ces études que M. Arnoux dut lui confectionner un petit cahier sur lequel il s’exerçait à écrire nos chiffres, et chaque jour Ato Mokanen venait apporter le devoir au maître pour qu’il pût juger des progrès. Du reste, M. Arnoux avait bien garde de multiplier les enseignemens, il n’attaquait jamais qu’une question à la fois, évitait avec soin toute confusion, se bornait toujours aux conclusions les plus simples et les plus pratiques. C’est ainsi qu’il put prendre en peu de temps un ascendant aussi grand que mérité sur l’esprit du roi.

Il ne s’agissait plus que d’arrêter définitivement l’exécution du programme adopté ; mais comme le roi, malgré son pouvoir absolu, ne décide rien d’ordinaire sans avoir pris avis de son conseil, M. Arnoux se chargea de rédiger divers mémoires en français qui furent traduits en amarina, et où il signalait aussi clairement que possible les causes de la décadence et du démembrement de l’empire éthiopien, les dangers du présent et de l’avenir, les ennemis du dedans et du dehors, enfin les remèdes à appliquer pour la prompte réorganisation de la nation entière sous une seule main avec l’aide de la nation française. Malheureusement Ras Bourrou veillait ; habile à garder le masque, il s’était tenu au courant de ce qui se passait au palais ; quand il vit que le Français jouissait de toute la confiance du roi, il jugea le moment venu d’intervenir. Sous un prétexte trompeur, il obtint de Minylik la permission de partir pour Massaouah. En vain M. Arnoux courut aussitôt chez le roi pour le prévenir, il était trop tard ; Ras Bourrou avait fait diligence. Reçu à Massaouah par Munzinger-Pacha, il se rendit ensuite auprès du khédive, au Caire, où il révéla tout ce qu’il savait ; ceci se passait au mois de mars 1875. C’est alors que fut combinée cette multiple expédition des Égyptiens qui allait sérieusement