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ils s’informeraient secrètement de ses projets, puis reviendraient par des routes détournées en rendre compte à leur maître. Pendant ce temps, le roi devait préparer son armée, s’emparer des défilés, s’y fortifier et attendre. Le voyageur, toujours prêt à payer de sa personne, offrit de pousser lui-même une reconnaissance jusqu’à Magdala ; cette expédition frapperait heureusement les esprits, surtout si l’on pouvait habiller quelques soldats à l’européenne. Le roi approuva fort ces conseils, la dernière idée surtout lui parut excellente ; sans plus tarder, le départ de M. Arnoux fut fixé pour le lendemain jeudi 25 février. Toute la nuit, ce fut dans le camp un grand remue-ménage : on hâtait les préparatifs ; enfin, vers dix heures du matin, M. Arnoux fut prévenu que le roi l’attendait.

« Je trouvai le roi, dit-il, entouré de ses généraux, au milieu d’une vaste plaine ; il présidait lui-même à l’organisation d’une escorte qui devait veiller à ma sûreté. Mes bottes et mes éperons attirèrent son attention ; on sait que les Éthiopiens, le roi tout le premier, marchent toujours nu-pieds. J’appris qu’un premier corps de pourvoyeurs, composé d’une centaine de femmes pour porter l’hydromel, plus trois cents gabbârs, ou hommes de charge, ayant avec eux des tentes, des provisions et conduisant un troupeau de bœufs, avaient pris les devans dès l’aube. Quant à l’escorte, elle se composait de cent Gondariens choisis ; ils étaient là, bien en ligne, portant des costumes qu’on avait tirés le matin même des magasins du roi. Pour qui et par qui ces costumes avaient-ils été confectionnés, je l’ignore, mais ils se prêtaient à merveille à la circonstance ; ils consistaient en une blouse rouge, un pantalon bleu, une ceinture blanche et un turban de même couleur que la blouse ; les armes étaient ces carabines rayées que j’avais apportées moi-même, complétées de la cartouchière et du sabre éthiopien ; deux guidons, blanc et rouge, flottaient au bout de longs bambous. Tous grands, robustes, bien plantés, ces garçons-là avaient réellement fort bonne mine ; n’eût été le teint un peu trop foncé de leur peau, ils ressemblaient assez bien à des garibaldiens, et le roi, à leur vue, ne put s’empêcher de murmurer : « Ah ! si j’avais seulement dix mille hommes comme ceux-là ! » Je lui répondis que ce vœu n’avait rien d’irréalisable, qu’avec quelques Français pour instructeurs et un convoi de fusils envoyé d’Europe, il aurait bien vite une belle et bonne armée ; il me serra la main affectueusement et me dit : « Que Dieu vous entende ! »

« Montant à cheval au milieu de mes garibaldiens improvisés, je prends congé du roi et je franchis l’enceinte ; en dehors m’attendaient un millier d’hommes armés de fusils et montés sur des mules. Ballan Barras Iffou les commandait ; ils étaient chargés d’éclairer le terrain en avant de moi. A la vue de mon escorte qui