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leur fournit pas de troupes, — ils en avaient suffisamment, — mais il s’engagea, moyennant finances, à faciliter l’approvisionnement des vivres de l’armée ; on acheta de même la neutralité bienveillante du wagchûm Gobhesieh aux environs de Magdala. Ce qui suivit est bien connu. Abandonné de tous, Théodoros ne voulut pas survivre au déshonneur de sa défaite, il se mit un pistolet entre les dents, fit feu et tomba mort. En partant, les Anglais voulurent laisser aux deux chefs dont l’abstention leur avait été utile un témoignage de leur gratitude : ils donnèrent à Gobhesieh des armes et le nommèrent roi de Gondar ; Kassa, lui aussi, reçut douze canons, des fusils et fut fait roi du Tigré ; il prit Adoua pour capitale. Mais la discorde ne tarda pas à éclater entre les deux princes. En 1871, Gobhesieh vint attaquer Kassa avec une forte armée de cavalerie ; celui-ci, aux oreilles duquel était parvenu le bruit des derniers événemens d’Europe et des succès prodigieux de la Prusse, écrivit à l’empereur d’Allemagne deux lettres pour le féliciter et lui demander sa protection. Ces lettres, confiées naïvement à un Français, s’égarèrent en route et ne parvinrent pas à leur adresse. Mais déjà, avec ses canons, Kassa avait battu son adversaire sous les murs d’Adoua et l’avait fait prisonnier. Il se fit alors couronner par l’abouna ou patriarche d’Ethiopie à Axoum, capitale religieuse du royaume, et prit comme empereur le nom de Johannès. Il avait trouvé, dit on, dans les bagages de Gobhesieh un document qui faillit faire brûler tous les établissemens de la mission catholique établie dans ses états, et le gouvernement français dut intervenir pour les sauver. Gobhesieh mourut en captivité en 1875. Vers le même temps s’éteignait à Axoum, au fond d’un vieux palais délabré, le malheureux hatzé Johannès, dit le Catholique, le dernier rejeton direct de l’ancienne dynastie, descendant par Minylik Ier de Salomon et de la belle Makeda, reine de Saba ; c’était un homme de mœurs douces, d’un esprit cultivé, vénéré de tous, mais incapable d’imposer son autorité. Parmi les princes régnans, Minylik II serait le seul aujourd’hui qui tienne encore par les femmes à la légendaire famille de Salomon.

Au mois de février 1875, les intentions de Johannès Kassa à l’égard du Choa n’étaient rien moins que transparentes. Prévenu par Ato Nadau, M. Arnoux se rendit aussitôt chez le roi, qui lui dit qu’en effet Johannès Kassa avait fait une apparition vers le Bagameder, qu’il était peu probable qu’il s’avançât plus loin, qu’en tout cas on était prêt à le recevoir ; si le roi n’avait pas parlé plus tôt de tout cela à son hôte, c’est qu’il craignait de l’effrayer. Cependant, comme il importait d’être exactement renseigné sur les vues de ce turbulent voisin, M. Arnoux proposa au roi d’envoyer sur-le-champ deux hommes sûrs déguisés en marchands dans le camp de Kassa,