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fabriqué de briques au Choa, on ne savait même plus faire la chaux, personne ne se rendait compte qu’une chute d’eau pût donner une force motrice. Aujourd’hui, grâce à M. Arnoux, ces premiers élémens de la vie industrielle ne sont plus un secret ; Et ce n’est pas là seulement un progrès matériel, le progrès moral est aussi sensible. Sous le règne de Sahlé Sallassi, en 1840, un Grec s’était établi dans le pays, le roi l’aimait parce qu’il savait travailler et qu’il était adroit de ses mains. Ce Grec imagina de monter tant bien que mal sur un petit cours d’eau un moulin à farine, allant au moyen d’une turbine ; la machine était grossière, mais elle marchait. Le roi voulut voir cette curiosité ; il emmena avec lui toute sa cour, y compris son confesseur, prêtre éthiopien, qui revenait du pèlerinage de Jérusalem. Arrivé sur les lieux, — le moulin était près d’Ankobar, — le roi se fit rendre compte du mécanisme et fut émerveillé, mais le confesseur en jugea autrement ; il vit là l’œuvre du démon, et tout imbu de ses sots préjugés, en présence même du roi, il excommunia celui qui avait monté le moulin, ceux qui viendraient y porter du blé, et ceux qui mangeraient du pain fait avec cette farine, puis dans sa sainte colère, il ordonna de détruire ce boudda, d’y mettre le feu et d’en jeter les cendres au vent, ce qui fut fait tout à l’instant. Bien qu’il fût doué d’énergie, Sahlé Sallassi n’osait pas se mettre en opposition avec le clergé ; à en juger par l’édit de tolérance promulgué au début de son règne, il semble que Minylik soit assez assuré de l’affection de son peuple et du maintien de son autorité pour montrer jusque dans les questions religieuses une véritable décision.

Le 29 janvier, le roi se préparait à partir pour Woreillou, sa résidence habituelle ; M. Arnoux, comme s’il prévoyait déjà les calomnies dont il devait être l’objet, le pria de convoquer les chefs de la caravane, les missionnaires catholiques et les grands dignitaires de la cour pour entendre lire et compléter au besoin le procès-verbal de la mort de ses deux compagnons ; la pièce, écrite en amarina, en arabe et en français, fut signée de tous les assistans et revêtue du sceau royal. Le lendemain le roi partait ; M. Arnoux le rejoignit seulement quelques jours après ; en route il s’arrêta à Sella Dengaï, résidence de la reine mère, où l’attendait une brillante réception. Oïzoro Egieng Ajoub est une personne d’une cinquantaine d’années, aux manières aimables et distinguées ; elle était entourée de ses pages et de toute sa maison militaire au grand complet ; malgré cet appareil, elle causa longuement avec l’ami de son fils et lui témoigna beaucoup d’intérêt.

Deux jours après, le voyageur arrivait à Woreillou ; cette place, admirablement fortifiée, est une création du roi Minylik et lui sert de grand quartier général ; elle est située dans le pays des