Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/892

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

put penser à se venger. Un des premiers actes du jeune roi en reprenant le pouvoir fut de porter un édit ainsi conçu : « Toute discussion religieuse est interdite dans le Choa, où tous les cultes sont libres ; tout prêtre éthiopien convaincu d’avoir fait de la controverse religieuse sera mis à mort. » Peut-être la mesure paraîtra-t-elle bien despotique ; mais il faut aussi songer qu’une bonne partie des maux de l’Ethiopie et des discordes qui la déchirent provient de ces querelles religieuses dont les indigènes ont hérité le goût des Byzantins.

Au bout de deux grandes heures, M. Arnoux prit congé du roi et fut conduit à sa nouvelle demeure avec le même cérémonial. La nuit tombait ; les voyageurs se disposaient à prendre leur repas, quand un grand du pays, Ato Ghiorghis, conduisant cinquante domestiques chargés de provisions de toute nature et un énorme bœuf gras, entra dans la maison. C’était une gracieuseté du roi qui leur envoyait à souper.

Le lendemain, Minylik, désireux de voir son hôte plus intimement, le fit prévenir dès le matin qu’Azadj Woldé Gabriel viendrait le chercher après son déjeuner. Quand le voyageur entra, le roi était comme la veille entouré de toute sa cour. M. Arnoux exprima alors le désir d’offrir au roi les présens qu’il avait apportés à son intention ; on alla chercher les caisses et les ballots qui furent ouverts sur-le-champ, il y avait là une foule d’objets dont le choix pourra d’abord paraître assez bizarre, mais qui tous cependant avaient leur signification dans l’esprit du destinataire : c’était d’abord un étendard en soie aux couleurs éthiopiennes, bleu, blanc et rouge, posées dans le sens horizontal, portant les armes du roi, le lion couronné, brodé en or des deux côtés, avec franges et glands d’or ; cet étendard sortait d’une des premières maisons de Lyon ; venaient ensuite une quarantaine de fusils et carabines de divers modèles, huit cents cartouches à balles à pointe d’acier, des revolvers, une tente-abri, des effets d’équipement militaire, des sacs pour soldats, 150 kilogrammes de salpêtre en neige, 50 kilogrammes de soufre sublimé, deux cribles, des haches, des pioches, un grand niveau d’eau en cuivre, une boîte d’instrumens de mathématiques, deux jumelles, une boîte et une chaise à musique, un tapis de haute lisse, très riche et très grand, du papier aux armes du roi, un plateau rond en argent, aux bords tulipes, aux fonds en relief avec les armes du roi, douze timbales en vermeil, une caisse de douze carafes de liqueurs fines, une collection de photographies, plus un grand assortiment de plans divers et de dessins d’architecture moderne. La reine n’était pas oubliée ; il y avait pour elle l’une glace richement montée et ornée de pierreries, une boîte de parfumerie garnie de