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frais de l’expédition que son fils Mohamet devait présenter au roi et qui montait à 966 taIaris, soit 5,074 francs. Enfin le 22 septembre les voyageurs quittèrent définitivement Ambobo ; Abou-Bakr, qui n’avait négligé aucune occasion d’alléger leurs bagages, tint à les accompagner quelque temps, on sut bientôt pourquoi. Le cinquième jour après le départ, la caravane campa à Warelissam, et, bon gré, mal gré, il fallut y rester deux jours. Abou-Bakr en profita pour dépouiller les voyageurs d’une tente et de tous ses accessoires, d’un câble qui devait servir au passage du fleuve, de divers ustensiles aratoires, outre une foule de petits objets qui lui plaisaient ; il était le plus fort, et il n’y avait qu’à laisser faire ; après quoi, il les laissa libres de partir avec leurs quinze chameaux, et, leur souhaitant bon voyage, le pirate retourna de son côté à Zeila.

Nous n’entrerons pas dans le détail de l’itinéraire qui a été déjà tracé par M. Rochet d’Héricourt avec beaucoup d’exactitude. D’abord plusieurs étapes à travers une plaine aride et désolée, peu ou point de végétation, quelques arbustes gommifères, rabougris, souffreteux ; à mesure qu’on avance, le terrain se soulève et présente partout les traces d’un bouleversement volcanique ; les montagnes, s’accumulant, entassent par étages leurs croupes nues et monotones. Successivement on franchit le lac Salé où les marchands du Choa vont se fournir de sel en poudre, Nehellé et sa source chaude, Segadarra et sa mine de cuivre, Haoullé, aux eaux sulfureuses ; plus loin s’étendent de vastes plaines vertes, quoique non cultivées, habitées seulement par les bêtes fauves, hôtes du désert, puis, après avoir traversé un terrain basaltique où poussent l’agave et l’aloès, on arrive aux bords de l’Aouach, limite naturelle du Choa, dans une vallée magnifique, resplendissante de végétation et peuplée de gibier.

Le 24 octobre, trente-deux jours après la sortie d’Ambobo, la caravane, partie d’Adeb à cinq heures et demie, arriva vers neuf heures du matin sur le plateau d’Assakalé Dabbah, province d’Obno, à l’est du torrent d’Hoffelot. M. Arnoux, malgré lui, était inquiet, préoccupé ; il avait cru surprendre chez les gens de son personnel certaines allures embarrassées ; le lieu même, complètement désert, tout couvert de broussailles sèches, aidait trop bien aux sombres pressentimens. Nos cinq Français avaient tous des armes à feu, fusil et revolver : qu’on vînt les attaquer ouvertement, cela n’était guère probable ; une surprise de nuit rentrait bien mieux dans les habitudes des indigènes et dans leur façon de combattre. La journée se passa du reste sans incident. Le soir, au diner, M. Arnoux recommanda à ses compagnons une extrême vigilance pendant leur garde ; la nuit était partagée en six quarts, et le drogman, en qui on pouvait Avoir toute confiance, faisait aussi le sien. C’était le moment de la pleine lune ; au désert les nuits sont toujours fort belles. Celui qui