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l’Aouach, il enverrait à leur rencontre des troupes pour les escorter ; en terminant, il priait M. Arnoux et ses amis de partir sans perdre de temps et d’amener avec eux Ato Samuel.

Une lettre conforme adressée à l’émir, et contenue sous le même pli, ne laissait aucun doute sur les intentions du roi. Aussi Abou-Bakr, plein de zèle en apparence et multipliant les protestations de service, déclara qu’il allait envoyer une barque à Aden pour rappeler son fils et les Éthiopiens ; lui-même, pendant ce temps, préparerait tout pour le départ. Le 4 mai, la petite troupe quittait Zeila pour se rendre à Ambobo, un peu au-dessous de Tedjourrah, où elle arriva le lendemain ; c’était comme la première étape du voyage. Pourtant, et bien que Zeila, Ambobo, Tedjourrah, ne fussent point encore possessions égyptiennes, M. Arnoux ne se sentait pas tranquille tant qu’il n’aurait pas mis entre la côte et lui une bonne distance. En effet, à la suite des incidens soulevés par l’entrepositaire du roi à Aden, un échange de correspondance avait eu lieu entre cette ville et Massaouah ; instruit des projets de M. Arnoux, Munzinger-Pacha, d’origine suisse, gouverneur de Massaouah, au nom du khédive, ne tarda pas à communiquer à Abou-Bakr qu’il fallait se défier des Français et empêcher à tout prix leur départ. C’est ainsi que sous mille prétextes habilement choisis l’émir les retint encore à Ambobo pendant plus de sept mois, sans vivres, presque sans abri, tous les jours espérant partir et chaque fois déçus.

Cependant Minylik savait que ceux qu’il attendait étaient arrivés à Zeila, il avait envoyé à plusieurs reprises Azadj Woldé Tsadek, ministre de sa maison, sur les frontières du royaume, à Fareh, et celui-ci était toujours revenu sans nouvelles ; nul ne pouvait soupçonner qu’Abou-Bakr et les Égyptiens la retenaient avec intention. Le roi se décide alors à faire emprisonner une centaine des chefs de l’Argoba, pays frontière ; en même temps, il prévient Oullassema Awegas, gouverneur de la contrée, que le même sort l’attend s’il n’a pas sans retard des nouvelles des voyageurs, et que, dans le cas où il leur serait arrivé malheur, tous les coupables seront mis à mort. Justement effrayé, Oullassema Awegas envoie à son tour une lettre pressante à Abou-Bakr, l’informant que, s’il tardait plus longtemps à faire partir l’expédition, tous les biens qu’il possédait au Choa et ceux de sa famille seraient confisqués.

Devant des ordres aussi formels, Abou-Bakr n’avait qu’à plier : il se résigna donc au départ des Français, mais à part lui il prenait déjà ses mesures pour qu’aucun d’eux ne pût arriver à bon port ; lui-même traça à Hadji Daoûd, nommé chef de la caravane, l’itinéraire que l’on devait suivre avec le nombre et la longueur des étapes ; il eut soin aussi de faire signer à M. Arnoux la note de