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n’acceptaient ces fonctions que comme un emploi provisoire, une sorte de pis-aller, que plusieurs n’y voyaient qu’un marchepied pour monter à d’autres postes, que beaucoup cherchaient à s’insinuer de la magistrature élue et révocable dans la magistrature nommée par l’état et inamovible.

À ces défauts qui dérivent du principe même de l’élection, on s’est ingénié à chercher des remèdes qui, le plus souvent, risquent d’altérer les conditions essentielles de l’institution. Pour rendre les juges moins dépendans des électeurs influens et des coteries locales, on a proposé d’en confier la désignation à un corps électoral plus nombreux. Pour donner à ces fonctions plus de stabilité et mettre le magistrat à l’abri des fluctuations de l’opinion, on a parlé de prolonger la durée de son mandat[1]. De pareilles mesures redresseraient-elles les défauts signalés sans en introduire de nouveaux ? Cela semble douteux. Enlever la nomination des juges de paix aux assemblées de district ne serait-ce pas renoncer à l’une des garanties de la loi, à l’un des correctifs du principe de l’élection ? Prolonger la durée des fonctions du juge, la porter par exemple de trois ans à six ans, ou la rendre illimitée, comme l’ont proposé quelques publicistes, ne serait-ce point aller contre l’esprit même de l’institution, et, sous prétexte de mettre les juges à couvert des caprices de l’opinion, laisser le public à la merci de la négligence ou de l’incapacité des juges ? L’élection ne saurait assurer au juge ni pleine indépendance, ni absolue stabilité, car ce qui est précaire, c’est l’élection même.

Si la Russie ne peut se soustraire à tous les inconvéniens du système électif, nous devons reconnaître que chez elle ces inconvéniens sont bien moindres qu’ils ne le seraient dans les états de l’Occident, et cela toujours pour la même raison, parce que l’opinion n’y a ni les mêmes tentations, ni les mêmes entraînemens que dans les pays livrés aux agitations politiques et aux luttes de partis. Par là les fonctions électives perdent en Russie de l’instabilité qui leur est naturelle. Il ne saurait arriver que dans des provinces entières un déplacement de majorité condamne tous les juges en fonctions à une révocation et toute la justice de paix à une soudaine métamorphose. L’on se plaint parfois que les juges non réélus descendent de leur siège au moment où ils étaient en train d’acquérir la pratique de l’audience et l’expérience de leur profession. Ce n’est cependant pas là le cas général. Si aux élections triennales un certain nombre de juges sont mis de côté, la plupart restent en

  1. Sur cette question, je dois mentionner entre autres une étude du Vestnik Evropy, juin 1814.