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Voilà comment la métaphysique éclaircit ce problème de l’origine des êtres, comment elle complète et couronne la théorie de l’évolution. On a vu, dans tout le cours de cette discussion, jusqu’à quel point, de l’aveu même de Claude Bernard, un principe métaphysique domine la définition de la vie et l’explication des phénomènes vitaux, en faisant comprendre ces caractères d’unité, de spontanéité, de finalité dont nulle théorie physico-chimique ne saurait rendre compte. La conclusion de cette étude est donc que, si la science peut et doit se passer de la métaphysique pour observer les faits, la philosophie en a besoin pour les expliquer. En voyant comment les spéculations abstraites avaient égaré les physiciens dans l’étude des phénomènes naturels, Newton disait : physique, garde-toi de la métaphysique. En voyant comment l’abus des hypothèses mécaniques a trompé les philosophes dans l’explication de ces mêmes phénomènes, ne pourrait-on pas retourner la phrase de Newton et dire avec Maine de Biran : métaphysique, garde-toi de la physique. Le principe de finalité est une de ces idées que Pascal logeait derrière la tête du savant, et sans lesquelles Leibniz trouvait qu’on ne peut rien expliquer ; c’est la suprême lumière de la science. Elle a brillé de tout temps dans le domaine de la philosophie ; elle éclairait ses premières et obscures notions de la nature. L’esprit humain va-t-il y fermer obstinément les yeux, depuis que la science nous a montré un univers nouveau, et nous a fait comprendre enfin ce beau nom de cosmos que la pensée antique lui avait trouvé, sans pouvoir encore en deviner toute la vérité ? Est-ce au moment où le ciel de nos astronomes nous fait contempler la sublime harmonie de ses mondes en mouvement, où la terre de nos géologues nous découvre les étonnantes métamorphoses à travers lesquelles elle a passé de l’informe et confuse matière à l’organisme resplendissant dont la vue nous éblouit, où l’humanité de nos historiens nous laisse voir la série des changemens qui l’ont élevée d’une barbarie voisine de la bestialité à la plus haute civilisation, où toute science nous montre la loi de l’évolution progressive gouvernant le monde physique comme le monde moral, est-ce à ce moment que la philosophie dite positive pourrait réussir à éteindre le flambeau qui illumine cet immense tableau des manifestations de la nature ? Nous ne pouvons le croire. Les écoles passeront, la science restera, et au-dessus d’elle la grande lumière qui en rend les réalités intelligibles. « les cieux racontent la gloire du Très-Haut ! » s’écriait le prophète, les yeux fixés sur ce firmament dont la Bible ne nous donne qu’une grossière image. Depuis les découvertes qui nous ont initiés à ses merveilles, la nature est bien autrement éloquente. Quelle poésie pourrait égaler l’hymne qu’elle change jour et nuit à la gloire du Créateur ?