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Ne craignons donc pas de le dire, avec Aristote, avec Leibniz, avec Kant, avec Hegel, avec tous les grands spiritualistes qui ont compris l’immanente finalité de la nature : Oui, la vie a pu sortir de la matière. Oui, les espèces supérieures ont pu venir des espèces inférieures. Oui, l’universelle génération des êtres a pu se faire par une évolution sans repos et sans fin. Oui, l’être a dû monter toujours dans l’échelle des existences, comme l’a révélé la science moderne, au lieu de descendre graduellement, commue, l’affirmait L’antique théologie de l’Orient. Et il faut, bien qu’il en soit ainsi, si l’on tient compte des renseignemens de l’astronomie, de la géologie, de la paléontologie et de toutes les sciences, qui ont étendu l’horizon de la pensée jusqu’aux premières origines des choses. Mais on ne saurait trop le répéter, cet immense travail des métamorphoses de la nature ne s’est pas fait tout seul. Une idée directrice, pour rappeler le mot de Claude Bernard, préside à l’ordre universel comme elle préside à l’organisation de l’être vivant. Sous son action continue et infiniment prolongée, la matière des nébuleuses a passé de la puissance à l’acte, à travers d’innombrables métamorphoses pour arriver au cosmos. Du moment que la philosophie tient, le principe de la véritable explication des choses, les hypothèses de la science n’ont plus rien qui doive l’inquiéter. Il y a lieu de douter que les faits confirment les théories du transformisme et de la sélection naturelle. Mais en fut-il ainsi, qu’importe à la philosophie telle ou telle origine assignée à telle ou telle espèce ? Qu’importe à la dignité de l’homme actuel qu’il ait pour ancêtre un être plus ou moins voisin du singe ? Que lui importe même que l’homme ne soit qu’un singe perfectionné, malgré l’invraisemblance d’une pareille hypothèse ? Et quand il faudrait remonter jusqu’aux types les plus rudimentaires du règne animal pour trouver la première origine de l’homme, qu’y a-t-il en cela d’humiliant et de triste pour l’humanité actuelle ? Puisque rien ne se fait que sous l’œil et la main, qu’on nous passe la métaphore, du suprême artiste qui conduit tout ce travail du fond de l’être où il cache son action, qu’importe l’infériorité des ébauches par lesquelles il a marqué ses débuts, mesurant le degré de perfection de son œuvre à la qualité des élémens et à la nécessité des conditions ? Le Dieu de la Bible n’a-t-il pas façonné l’homme avec de l’argile ? Seulement, en y mettant son souffle, il l’a fait à son image. Dans le travail de l’évolution cosmique, la cause suprême, selon la science de notre temps, procède autrement. Elle n’a pas besoin, pour accomplir son œuvre de progrès, de souffler quelque vertu nouvelle dans le type supérieur qui vient prendre place au sein de l’ordre universel. La pensée finale que ce type est venu réaliser était déjà à l’état latent dans le type inférieur d’où l’autre est sorti.