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spéculation a priori. Si les conceptions explicatives ne peuvent se vérifier, dans le sens rigoureux du mot, elles peuvent être confirmées, comme toutes les hypothèses, par la propriété significative d’expliquer avec plus de facilité et de vraisemblance les faits observés. C’est ce qui arrive dans ce débat entre les écoles mécaniste et vitaliste. Plus on étudie les phénomènes vitaux, plus on peut se convaincre qu’ils se prêtent mieux à l’explication de la seconde qu’à celle de la première. Ici les faits parlent, et il ne nous semble pas douteux que le vitalisme en interprète le langage mieux que le mécanisme. On peut aller plus loin encore dans la réfutation de la thèse des mécanistes ; on peut dire qu’elle choque les principes les plus simples de la raison au point de toucher presque à l’absurde. Est-il possible de comprendre l’évolution organique sans y faire intervenir le principe de causalité et le principe de finalité ? Ce n’est pas seulement la philosophie qui refuse de le croire ; c’est l’esprit humain lui-même. Voilà certainement une confirmation décisive de la thèse vitaliste. Mais nulle évidence logique ou métaphysique ne vaut pour le savant une vérification de l’expérience. C’est ce qui fait qu’il laisse au philosophe la tâche d’expliquer ce qu’il a entendu et touché, en s’aidant des instrumens créés pour cet usage. La part de la philosophie est encore enviable dans ce partage. Pour l’esprit humain, savoir n’est pas tout ; comprendre est bien quelque chose.

On a vu comment l’école mécaniste croit pouvoir tout expliquer par la composition et la combinaison de mouvemens mécaniques, physiques ou chimiques dont la résultante serait le phénomène complexe de la vie. Comme ces explications tendent à nier ou à dénaturer les caractères essentiels des phénomènes vitaux, il était bon qu’elles rencontrassent ailleurs que parmi les psychologues et les métaphysiciens des contradicteurs compétens et familiers avec ce genre d’études. M. Chauffard nous semble avoir pleinement réussi dans cette tâche difficile et peu populaire. Tout en restant fidèle à la grande tradition pour laquelle nos physiologistes mécanistes professent un parfait dédain, il a, dès le début de sa discussion, marqué avec netteté et fermeté ce qui l’en sépare. S’il est l’adversaire déclaré des doctrines qui nient la cause vitale, avec tous ses attributs d’unité, de spontanéité, de finalité, il n’est point l’auxiliaire des doctrines qui séparent et isolent cette cause de l’organisme lui-même. Son spiritualisme n’a rien de commun ni avec celui de Platon, ni avec celui de Descartes, ni avec celui de Leibniz. Il ne conçoit point l’âme comme une entité abstraite et solitaire à la manière de Platon, ou comme une substance dont tous les attributs sont absolument contraires aux attributs de la substance corporelle à la façon de Descartes, ou comme une monade n’ayant avec toutes les monades