Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séparée. Elle n’emprunte à l’organisme étranger auquel on l’associe violemment que des matériaux nutritifs. Quelle éclatante révélation de la réalité et de la puissance d’une unité créatrice !

Toute explication qui fait de l’unité vitale une résultante des activités organiques aboutit à la négation de la finalité. Toute explication, au contraire, qui fait de cette unité la cause même du développement et de la formation des organes en confirme le principe. Aussi Claude Bernard est-il conséquent à sa définition de la vie quand il déclare que, si le physicien et le chimiste peuvent repousser toute idée de causes finales dans les faits qu’ils observent, le physiologiste est porté à admettre une finalité harmonique et préétablie dans le corps organisé. Et pour faire ressortir l’évidence de cette finalité, Claude Bernard nous montre la nature à l’œuvre dans la formation de l’organisme. On voit apparaître dans l’évolution vitale une simple ébauche de l’être avant toute organisation. Les contours du corps et des organes sont à peine arrêtés. Aucun tissu n’est distinct dans cette masse constituée par des cellules plasmatiques ; mais dans ce canevas est tracé le dessin idéal d’une organisation encore invisible pour nous, qui a d’avance assigné à chaque partie sa place, sa structure et ses propriétés. Là où doivent être des vaisseaux sanguins, des nerfs, des muscles, des os, les cellules embryonnaires se changent en globules de sang, en tissus artériels, veineux, musculaires, nerveux et osseux. Ce n’est pas tout, nous dit Claude Bernard, dont nous ne faisons que résumer l’irrésistible démonstration. Cette puissance créatrice et organisatrice poursuit son œuvre chez l’adulte, en présidant au travail de nutrition et de croissance de l’être vivant, qui n’est qu’une génération continuée[1]. Si Claude Bernard accepte le principe de finalité, on peut dire que M. Chauffard l’embrasse avec l’enthousiasme d’un spiritualiste ardent. « Ce spectacle d’une finalité immanente que l’homme découvre partout en lui, il le retrouve à tous les degrés de l’ordre vivant. Tout animal, tout être organisé, le végétal lui-même, possèdent une fin propre. Rien ne vit qu’à la condition de tendre à un but ; par contre, tout but implique la présence et l’action de la vie. Autonomie vivante, unité vivante, spontanéité vivante, finalité vivante, toutes ces notions primordiales sont solidaires, et se résolvent les unes dans les autres… La fin est le couronnement et la raison même de l’institution vivante : et plus cette institution s’élève, et plus la fin qui la domine apparaît éclatante. C’est le dogme majeur, surtout dans les formes supérieures de la vie[2]. »

Pourquoi un principe aussi évident est-il toujours contesté par

  1. La Science expérimentale, p. 134, 139, 196.
  2. La Vie, p. 318.