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comme dans le système des fonctions psychiques que résume la conscience, c’est que la cause vitale est partout, qu’elle préside à tout, qu’elle vivifie et conserve tout. Son essence propre, son attribut caractéristique est d’être partout présente, sans résider nulle part. On l’imagine à tort localisée dans la cellule primordiale, dont les proportions microscopiques produisent l’illusion de l’absolue simplicité ; elle ne l’est pas plus dans cet atome d’une indivisibilité apparente que dans l’organisme entier. Car la multiplicité est partout dans une matière divisible à l’infini. « Une unité, dit M. Chauffard, ne saurait trouver de siège ; l’idée de siège est la négation même de l’unité. Celle-ci saisit l’être dans toutes ses profondeurs, dans l’infinie multiplicité de ses élémens. Une unité localisée à un point de l’être ne serait plus l’unité de l’être[1]. » Pour qu’une vérité aussi évidente que l’unité de l’être vivant soit niée par des physiologistes éminens, il faut qu’elle soit mal comprise et mal définie. C’est ce qui arrive, en effet. Ou bien on isole l’unité de la variété de ses développemens, ce qui la réduit à une abstraction métaphysique, ou on la localise dans un organe à part, ce qui rend inexplicable son rayonnement dans l’organisme entier. L’unité d’où est sorti l’être vivant par une série continue de générations ne peut être considérée comme une cause distincte de ses créations. Quand donc on la montre dans la réalité multiple de ses développemens, il est difficile à l’esprit le plus prévenu contre les entités de la vieille physiologie de ne pas la reconnaître comme l’attribut essentiel de tout être vivant. Des expériences très curieuses, nous le savons, ont été faites pour constater le phénomène de la divisibilité de la vie. Elles sont incontestables ; mais elles ne prouvent rien contre la thèse de l’unité vitale. On peut greffer un membre enlevé à un animal sur le corps d’un autre animal, et observer que ce membre y reprend racine comme une greffe sur un arbre étranger. Mais si l’on veut bien observer le phénomène tout entier, on pourra constater que le membre qui continue de vivre garde les particularités typiques de l’animal dont il a été séparé, par exemple la couleur des poils. Or que prouve cette persistance du type, sinon l’unité de l’être vivant qui se conserve dans l’animal comme dans la plante, jusque sur un sujet étranger ? La patte greffée du jeune rat demeure toujours la patte de l’organisme auquel on l’a enlevée ; elle grandira comme elle aurait grandi sur cet organisme ; elle lui appartient toujours, quoique transportée. Elle demeure, selon la forte expression de M. Chauffard, pleine de l’unité qui l’a engendrée, et dont elle ne cesse pas de faire partie, quoique en étant artificiellement

  1. La Vie, p. 193.