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mouvemens soumis aux lois physico-chimiques, la conscience humaine n’en reste pas moins entre l’hypothèse dite scientifique et l’invincible sentiment de la spontanéité et de la liberté de nos actes volontaires. Le philosophe lui-même qui a imaginé cette belle démonstration n’entend pas plus que le vulgaire, spiritualiste en cela sans le savoir, se soustraire à la responsabilité qui pèse sur toutes les actions dites de l’ordre moral, il n’en est pas moins vrai que la thèse mécaniste persiste et semble même gagner du terrain dans le monde savant. D’où provient cette sorte de popularité d’une doctrine qui choque à ce point le sens intime ? De la difficulté qu’éprouve l’esprit de comprendre comment il peut y avoir des actes qui échappent à la loi universelle du déterminisme qui régit tous les mouvemens du monde inorganique. La physiologie, qui parvient à établir sur la base de l’observation la spontanéité de tous les actes vitaux, rend donc en cela ma grand service à la psychologie. On a vu comment l’étude de l’action réflexe a conduit à la négation d’abord de la spontanéité organique, puis de la spontanéité instinctive, et enfin de la spontanéité volontaire. C’est une chaîne de conséquences qui s’étend depuis le plus simple phénomène de l’activité vitale, jusqu’aux phénomènes de la pensée et de la volonté. Il faut donc en briser le premier anneau, c’est-à-dire le principe même, pour arrêter le cours des déductions de l’école mécaniste. C’est ce que M. Chauffard nous a paru faire avec une habileté supérieure d’analyse et de discussion. « Si le mouvement extérieur, nous dit-il, frappant un nerf, devait se métamorphoser en impression sensible et en excitation motrice, si celles-ci n’étaient qu’une sorte d’ondulation vibratoire du nerf, cette métamorphose s’accomplirait directement. Il n’y aurait rien entre le mouvement extérieur communiqué et l’impression excito-motrice, forme nouvelle de ce mouvement. C’est la loi de toutes les métamorphoses du mouvement qu’elles se succèdent en se substituant les unes aux autres. En mécanique, aucune force ne doit se perdre ni s’arrêter dans sa transmission[1]. » — Mais les choses ne se passent pas ainsi. Diverses expériences démontrent que le mouvement communiqué de l’extérieur à un nerf se transforme en mouvement moléculaire de la substance nerveuse et en chaleur. Voilà la vraie transformation du mouvement extérieur, laquelle retombe sous l’empire des lois mécaniques. Quant à l’impression sensible et à l’excitation motrice, ce sont des phénomènes d’un caractère et d’un ordre tout différens ; ils relèvent d’un autre monde que le monde de la mécanique. Qu’ils ne puissent se produire qu’à la condition de

  1. La Vie, p. 269.