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doctrines mécanistes, il importe, pour la clarté du débat, de bien définir la chose dont il faudra discuter les attributs. Qu’est-ce que la vie ? Problème de synthèse auquel répugne la méthode essentiellement analytique de l’école mécaniste ! Et pourtant sans la solution préalable de ce problème, cette discussion manquerait d’ordre et de lumière, car c’est l’idée qu’on se forme tout d’abord de la vie qui fait que l’on comprend ou que l’on ne comprend pas la possibilité des attributs dont nous venons de parler. Et, quand nous prononçons ce mot de synthèse, nous n’entendons pas que la philosophie vitaliste débute par une abstraction ou une hypothèse. Non : c’est la science elle-même qui va parler ; c’est l’embryogénie, dont la physiologie contemporaine est fière à juste titre, qui va nous initier au mystère de la vie en nous apprenant comment l’être vivant naît, se développe et se forme ; c’est dans le cœur de la réalité organique que nous allons saisir l’idée vitale avec Claude Bernard.

On s’est étonné, dans le monde savant, de sa définition de la vie. Rien de plus simple pourtant. En suivant d’un œil attentif cette opération merveilleuse de la nature en travail qu’on nomme l’évolution embryonnaire, en voyant comment elle y accomplit, dans le silence et le secret d’une génération incessante, l’œuvre la plus complexe, la plus délicate, la plus marquée du sceau de la finalité que la nature puisse offrir aux regards émerveillés de l’observateur, tout esprit libre de préjugés systématiques cherchera la vraie cause de ce grand miracle de la vie. Est-il possible de ne voir qu’un mode nouveau de composition chimique dans cette évolution, où l’activité vitale poursuit son œuvre à travers une série de formes de plus en plus organiques, telles que le point microscopique de la cellule génératrice, le tissu cellulaire, l’embryon, l’organisme complet, jusqu’à l’être vivant dans le plein exercice de ses organes et de ses fonctions ? Un tel travail ne serait-il qu’une série d’actions et de réactions moléculaires isolées ? Un tel produit n’en serait-il qu’une résultante ? Est-ce là toute l’explication de l’activité, de l’unité, de la spontanéité, de la finalité de l’organisation vitale ? Claude Bernard ne peut le penser. Devant ce phénomène d’un caractère nouveau, son esprit se recueille, sa pensée s’élève, et il en cherche l’explication dans un autre ordre d’idées. C’est alors que sous la dictée de la nature elle-même, pour emprunter l’image de Bacon, ce secrétaire de génie a écrit ces mémorables phrases : « S’il fallait définir la vie d’un seul mot qui, en exprimant bien ma pensée, mît en relief le seul caractère qui, suivant moi, distingue nettement la science biologique, je dirais : La vie, c’est la création. » Et encore « ce qui caractérise la machine vivante, ce n’est pas la nature de ses propriétés physicochimiques, si complexes qu’elles soient, mais bien la création de