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de son innocence, elle est ici... Où ? reprit-il, répondant au geste de Mercedes, je l’ignore encore, mais elle existe. Ce plan que vous m’avez remis, c’est lui qui l’a tracé ; ces initiales sont les siennes. Dites-moi tout ce que vous savez, et, ajouta-t-il d’une voix émue, qui sait si je ne vous rendrai pas l’honneur de votre père, à vous... qui m’avez sauvé la vie.

Mercedes l’écoutait comme transfigurée. Il croyait... avec elle et comme elle. Il parlait avec un tel accent de conviction. Comment eût-elle douté, elle qui malgré tous n’avait jamais douté ? Puis ce secret dont elle portait seule le poids, que sa sœur même ignorait... il le connaissait, lui, et, le sachant, il voulait... et son regard se troublait, elle rougissait. Par un effort puissant, elle chercha à écarter ce souvenir. Plus tard... seule avec elle-même, elle y reviendrait. Mais en ce moment...

Fernand lisait-il dans son cœur ? — Mercedes, parlez... il s’agit de votre père.

— Vous savez dans quelles circonstances nous quittâmes Charleston pour Mexico. Je passai là des mois d’angoisse en deuil de notre mère. Un jour, je reçus avis du consulat de France qu’une lettre avait été déposée à la chancellerie. L’enveloppe froissée, l’adresse à demi effacée, indiquaient qu’elle avait dû faire un trajet long et difficile. Je l’ouvris. Elle était de mon père, écrite au crayon, et contenait le papier que je vous ai montré...

— Et la lettre ? dit Fernand.

— Elle était de quelques lignes seulement. Je les sais par cœur : « Conservez soigneusement le papier que je vous adresse par une voie que je crois sûre. Je cours de grands risques. Si je réussis, je vous écrirai d’Angleterre. Quoi qu’il arrive, gardez ceci, il y va de mon honneur. »

Je fis de vains efforts pour savoir qui avait remis cette lettre, on ne se souvenait pas, et le messager ne reparut plus. J’obéis aux ordres de mon père et mis ce papier en lieu de sûreté. La guerre terminée, j’écrivis à notre homme d’affaires pour le supplier de me donner des nouvelles. Sa réponse courte, embarrassée, me fit mal. Il me disait que l’impression générale était que le capitaine Warde avait péri. Les chefs du sud lui avaient confié des papiers importans qui n’étaient pas parvenus à leur destination et on en était sans nouvelle aucune, malgré la levée du blocus des côtes et le rétablissement des communications. Je me décidai à partir pour Charleston. Une famille amie, émigrée comme nous, y retournait et m’offrit sa protection. A peine arrivés, eux, si bons, si bienveillans jusque-là, me témoignèrent tout à coup une froideur, une pitié dédaigneuse que je ne m’expliquai pas. Je vis quelques anciens amis et compagnons d’armes de mon père, bien peu... tant avaient péri !