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elle ?.. agenouillée à l’ombre d’un cloître, elle prierait pour lui, mais il ne la verrait plus, il n’entendrait plus sa voix. Était-ce la peine de vivre ? — Mercedes l’observait avec anxiété, elle regrettait d’avoir parlé ; dans son état de faiblesse, toute secousse était à redouter. De son côté, Fernand sentait que l’heure était décisive et faisait à ses forces renaissantes un énergique appel.

Après un instant de silence, il reprit d’une voix grave : — Mercedes... je vous en supplie... renoncez à ce départ... je vous aime. Un regard désespéré fut son unique réponse. — Mercedes... voulez-vous être ma femme ? — C’est impossible. — Impossible... oui... si vous ne m’aimez pas... si vous sentez que vous ne m’aimerez jamais...

Elle détourna la tête. Craignait-elle qu’il ne lût la vérité dans ses yeux qui ne savaient pas mentir ?

— Je ne puis ni ne dois aimer personne... que Dieu... — Mercedes, ajouta Fernand avec un accent passionné, il s’agit de ma vie, de mon bonheur... Parlez... — Vous le voulez, dit-elle d’une voix vibrante... eh bien... celle à qui vous offrez votre amour, à qui vous demandez d’être votre femme... moi enfin... je suis la fille de Francis Warde. — Debout devant lui, tremblante d’émotion, Mercedes le regardait. — Fernand tressaillit en entendant sortir de ses lèvres ce nom, abhorré des hommes du sud. Francis Warde, dont la trahison avait consommé la ruine de Charleston, celui qui avait vendu son honneur et sa ville natale, Francis Warde était le père de Mercedes. Il s’expliquait enfin son silence, l’isolement dans lequel elle vivait, sa résolution de se retirer, sa sœur et elle, dans un couvent. Il connaissait la triste histoire de cet officier confédéré, héroïque jusqu’à la dernière heure et ternissant par une incompréhensible défaillance un nom respecté même de ses ennemis. Fernand se leva lentement, son regard se croisa avec celui de la jeune fille, dans lequel respirait un défi hautain, protestation suprême de l’orgueil humilié. — Mercedes Warde, je vous aime... voulez-vous consentir à être ma femme ? — Une expression d’angoisse contracta son visage. — Oh ! mon Dieu, dit-elle, vous ne savez donc pas ?.. et elle éclata en sanglots. — Mercedes, je sais tout... Vous n’avez rien à m’apprendre. Écoutez-moi seulement... Votre père n’est pas coupable. Tout me le dit, mon amour pour vous, ma foi en vous. Mercedes Warde n’est pas la fille d’un traître. Ne me croyez pas aveuglé par la passion, j’aime... et l’amour vrai n’est pas un piège tendu à notre crédulité... J’aime, et il me semble que Dieu daigne soulever pour moi un coin de ce voile mystérieux qui nous cache l’avenir. — Elle l’ écoutait avec une émotion indicible ; ses yeux chargés de pleurs levés sur lui semblaient l’implorer et le remercier. — Vous aussi... vous le croyez innocent ? — Oui... et la preuve