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faire luire à mes yeux un espoir trompeur ? — Voilà bien les exagérations féminines, maugréait-il à part lui. Au lieu de raconter les choses comme elles sont, elles lâchent la bride à leur imagination, et une fois parties, les suive qui pourra... Si vous saviez... En voilà un champ d’hypothèses, et des moins flatteuses encore si nous n’étions pas ce que nous sommes, Fernand et moi, des gens de bon sens. Que peut-il bien y avoir dans leur passé ? Dona Mercedes ressemble à une madone du Titien. Carmen a des allures d’ange mutir. Qu’elles aient un secret, c’est certain ; mais un remords... allons donc. Il n’y a qu’à les regarder et à les écouter. Ce sont deux pages blanches sur lesquelles il n’y a rien d’écrit. J’en suis sûr. J’en ai assez vu, dans l’ancien et le nouveau monde, de ces pages griffonnées où dates, noms et souvenirs se superposent et se confondent... Un espoir trompeur... Donc il y a un espoir... Trompeur ? c’est ce que l’avenir, aidé par George Willis, nous apprendra.

Le lendemain, les deux jeunes gens s’abstinrent de leur visite accoutumée. La journée leur parut longue, mais ils crurent bien faire en laissant aux jeunes filles le temps de la réflexion. Le jour suivant, à leur heure habituelle, ils se rendirent au palais du gouverneur.

L’idée de revoir dona Mercedes troublait Fernand. L’avait-elle compris ? N’avait-il pas parlé trop tôt ou trop tard ? trop tôt en la mettant en garde contre un sentiment qu’elle ne pouvait encore partager ; trop tard, si son cœur n’était plus libre. Était-ce là ce qu’avait voulu dire son regard ? L’accueil de dona Mercedes ne fut guère de nature à l’éclairer sur ce point, mais la confiance plus marquée qu’elle lui témoigna suscita en lui des pensées nouvelles. Il se demanda s’il avait bien le droit, à son insu, de s’autoriser de ses aveux pour pénétrer ce mystère. Vainement il se dit qu’en agissant ainsi il n’avait d’autre but que de lui venir en aide, de soulever ou tout au moins de partager ce fardeau trop lourd pour ses forces. Ces mêmes raisons qui l’avaient satisfait la veille, quand il était loin d’elle, lui paraissaient maintenant des sophismes, et il se reprochait son adhésion trop prompte aux suggestions de George Willis. Quant à ce dernier, ces scrupules ne le tourmentaient évidemment pas ; dona Carmen était sérieuse et préoccupée ; elle négligea de le quereller, s’abstint de le contredire, et se renferma dans un mutisme qui lui parut présager quelque chose d’extraordinaire. Aussi l’observa-t-il avec étonnement. Gênée par son regard pénétrant, la jeune fille s’éloigna et rejoignit sa sœur. Fernand en profita pour se rapprocher de George, et lui fit part en quelques mots des doutes qui lui étaient venus.

— Voilà une idée que je n’aurais jamais eue, dit George après l’avoir