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Athéniens ne comptent pas leurs ennemis. La confiance est une force. Où finit-elle et où commence la présomption ? Le succès seul en restera-t-il juge ? Autant vaudrait dire que la guerre n’est qu’un jeu de hasard, quand l’histoire nous la montre, au contraire, soumise presque toujours à des lois invariables, dominée par des conséquences logiques dont l’inflexibilité nous donnerait, si nous n’y prenions garde, l’illusion d’un arrêt du destin. Il faut être confiant, lorsqu’on a, comme Nelson, toute raison de compter sur la supériorité d’organisation des vaisseaux qu’on commande ; il ne faut pas l’être trop longtemps si l’adversaire appartient à une race tenace. Les revers qui ne découragent pas aguerrissent, et l’ennemi qu’on n’a pu ni anéantir ni abattre finit par reparaître sur le champ de bataille avec les armes, avec la tactique même qui l’ont souvent vaincu. La victoire ne va pas tarder à devenir plus laborieuse pour les Athéniens. Les Péloponésiens leur préparent déjà une surprise pleine d’audace. Athènes victorieuse, Athènes endormie, comme le Rhin du poète, au sein de ses roseaux, se trouva, le lendemain des triomphes de Patras et de Naupacte, à deux doigts de sa perte.

La flotte du Péloponèse s’était retirée à Corinthe ; la troisième campagne de la guerre semblait terminée, quand les Mégariens suggérèrent à Cnémos et à Brasidas le projet d’enlever le Pirée par un coup de main. Ce port, le Palladium d’Athènes, était, on s’en souvient, resté ouvert du côté de la mer ; on n’en fermait même pas l’entrée par une chaîne. Tous les vaisseaux armés étaient en campagne, les autres reposaient sur la plage, tirés à sec. La moindre flotte apparaissant dans les eaux de l’Attique y eût jeté l’effroi, mais d’où fût venue cette flotte ? Phormion vainqueur, Phormion renforcé par les vingt vaisseaux venus de la Crète, gardait trop bien, surveillait de trop près les vaisseaux refoulés à Corinthe. Ne pouvait-on donc pas traîner ces vaisseaux à travers l’isthme et les faire déboucher à l’improviste du golfe de Crissa dans le golfe d’Égine ? Les trières ne franchissaient pas de semblables distances sans les plus grands efforts. Si elles l’eussent tenté, Athènes, n’en doutons pas, en eût été sur-le-champ avertie ; ses vaisseaux de réserve se seraient trouvés prêts à faire un rude accueil à l’escadre du Péloponèse. Le projet des Mégariens était beaucoup plus ingénieux. La flotte, ils la possédaient, bien qu’ils l’eussent laissé dépérir et qu’ils n’eussent pas le moyen de l’armer. Ils la mettaient à la disposition des généraux de Sparte. Que ces généraux envoyassent à Nisée, le port de Mégare, les équipages que Phormion bloquait à Corinthe et toute une escadre, une escadre bien inattendue cette fois, allait descendre, au nombre de quarante trières, des chantiers où la jalousie d’Athènes croyait l’avoir condamnée à pourrir. Le plan des Mégariens sourit aux généraux de Sparte ; quarante équipages