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rangés, les uns devant les autres, sur toute la longueur du navire. Les rameurs qui étaient voisins de cette partie de la poupe qu’on nommait thranos en prirent le nom de thranites, de même que nous appelons aujourd’hui espaliers les deux vogue-avans les plus proches de l’espale. Les rameurs du milieu reçurent également le nom de zygites du lieu où ils étaient placés. C’était en effet en cet endroit qu’on mettait le mât du navire. Zygia en grec est une espèce d’arbre que nous nommons érable, arbre de haute futaie et par conséquent propre à servir de mât dans une galère. Les rameurs enfin de l’ordre inférieur se seront appelés thalamites, parce qu’ils voguaient à proue, dans l’endroit le plus bas, en d’autres termes le plus rapproché de la mer que les Grecs nommaient thalassa. Cette différente élévation des rameurs produisait l’inégalité des rames. Les thalamites maniaient les plus courtes, les thranites les plus longues. »

Il ne m’avait pas encore été donné connaissance des manuscrits du sieur Barras de la Penne que déjà mon instinct de marin s’était spontanément arrêté à la solution dans laquelle se complaisait, en 1715, la vieille expérience du capitaine des galères du roi. Je n’avais, hélas ! effleuré que la surface du problème : la colonne Trajane, le vase de terre cuite trouvé dans Agrigente, Virgile, Lucain, Silius Italicus, le commentateur anonyme de la comédie des Grenouilles, Appien au livre V des Guerres civiles, Hirtius le continuateur de César, Athénée, Plutarque, Constantin Porphyrogénète, Polybe au livre XVI de son recueil, le continuateur des Tactiques d’Ælien, Diodore, Strabon, Tite-Live, Dion, Pétrone, Arrien, Suidas, Memnon cité par Palmerius, Végèce, Pausanias, Zozime, l’empereur Léon et son traducteur M. de Maizeroy, Aristote lui-même avec ses rames tronquées, les statuts génois avec leurs terzoli, Galien, le médecin de Bergame, avec sa main humaine dont les doigts inégaux rappellent, s’il faut l’en croire, la vogue de la trirème, Hésychius, Saumaise, Scaliger, Snellius, Deslandes, Smith, Raphaël Fabretti, — j’en passe, et des meilleurs, — se sont, comme autant de fantômes indignés, dressés devant moi. Pour échapper à la nécessité d’admettre la superposition des rames, il ne m’est resté que deux appuis : Bayfius et Stewechius. Ceux-là, on n’a jamais pu les ébranler, et ils savaient ce que vaut un texte grec ou latin, je suppose ! Pour eux, comme pour Barras de la Penne, « le thranite est celui qui est à poupe, le zygite au milieu, le thalamite à proue. » Les auteurs ont beau employer les mots : dessus et dessous, suprá et infrà, ἄνω (anô) et ϰάτω (katô), Bayfius et Stewechius n’amènent pas leur pavillon.

Je ne veux rien dissimuler. Toutes les médailles du monde, tous les vases de terre cuite de Sicile, tous les bas-reliefs de bronze ou de marbre n’auraient pu réussir à changer le cours de mes