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L’OBSTACLE




VI1

Tout en déjeunant, une heure après, M. de Valouze interrogea un vieux domestique qui le servait à table. Rameau savait sur le bout du doigt la chronique du pays. Attaché en qualité de valet de chambre à la personne de feu le marquis, il avait été complice discret de ses nombreuses fredaines. Rameau possédait le flair et la ruse d’un Frontin du meilleur temps ; la génération nouvelle lui faisait pitié, son jeune maître lui semblait bien sage, hélas !.. et le souvenir quasi religieux qu’il gardait de l’homme irrésistible qui l’avait formé, disait-il, parait sa propre personnalité d’un singulier prestige : à l’office, on ne l’appelait que monsieur Rameau.

— Est-ce que tu connais ici la directrice de poste ? lui demanda Roger en faisant une brèche au pâté de venaison placé devant lui. Rameau étouffa dans sa haute cravate blanche un rire silencieux, sceptique et goguenard dont il avait la spécialité.

— Eh bien ! qu’as-tu donc à ricaner ?

— Comment M. le marquis peut-il croire que je ne connaisse pas le bureau de poste ? C’est la seule curiosité du pays.

— Qu’entends-tu par curiosité ?

— Mais j’entends qu’il se passe là dedans des choses curieuses et qui m’amusent.

— Quoi donc ?

— Mon Dieu ! quand ce ne seraient que les prétentions de cette vieille extravagante ! Imaginez-vous qu’elle fume des cigarettes... Oui , monsieur , elle fume , sous prétexte que c’est un usage russe. Je me demande ce que la Russie peut avoir à faire avec


(1) Voir la Revue du 15 octobre.