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chrétien ; il était philosophe, comme Tacite et comme Pline le Jeune. Qui a vu condamner Socrate ou proscrire Thraséas est, jusqu’à un certain point, excusable de faire un soupçonneux accueil à ce niveau aveugle sous lequel toutes les tiges, s’il ne leur convient de se voir fauchées, sont tenues de courber la tête. Il est vrai que, dans les occurrences graves, il se trouve toujours quelque tige rebelle qui s’insurge, quelque pousse vivace qui relève le front. Les démocraties et les oligarchies, les monarchies et les républiques se mettent alors d’accord pour se personnifier dans un homme ; dans Lincoln ou dans Henri VIII, dans Cromwell ou dans Périclès, dans Pitt ou dans Napoléon. Les diverses races répandues sur la surface du globe n’ont pas, je le confesserai volontiers, au même degré le goût de l’abdication ; toutes y arrivent, quand le péril devient vraiment pressant. Cette facilité universelle à s’absorber dans une individualité puissante n’empêche pas la lutte entre les principes contraires ; elle donne seulement à la compétition une forme mieux définie. Les dissensions dont furent agitées la société grecque et la société romaine ont un nom qui dit tout, quand nous les appelons la querelle de Sylla et de Marius ; nous en saisissons moins bien la cause et les effets lorsqu’il nous faut les démêler dans la rivalité de Sparte et d’Athènes. Néanmoins c’est toujours le même conflit, le conflit du parti populaire et de la faction oligarchique. « Ces calamités, disait avec raison Thucydide, se renouvelleront tant que la nature humaine n’aura pas changé. »

Dès l’année 470 avant Jésus-Christ, dix ans seulement après la fin de la guerre médique, la puissance maritime d’Athènes était fondée ; les capitulations de conscience d’Aristide y avaient bien eu quelque part. Après Aristide, un autre marin, favorable comme lui à la faction des riches, vint asseoir cette suprématie navale sur une base qu’on aurait pu croire indestructible. Au nombre des capitaines qui s’étaient distingués à la bataille de Salamine se trouvait Cimon, le fils de Miltiade. Issu de cette opulente maison où, depuis plusieurs générations, on courait à Olympie en chars à quatre chevaux, Cimon hérita de la haute influence qu’avait jadis exercée Thémistocle. Ce fut lui qui acheva la ruine de la marine phénicienne. Il prit, en un seul jour, aux Perses, sur les côtes de la Pamphylie, deux cents trières. Rentré dans Athènes avec les dépouilles de Chypre et de l’Asie, il y menait la vie libérale et fastueuse d’un grand citoyen. Le peuple entier avait part à ses largesses et jamais André Doria, aux jours de sa splendeur, ne reçut dans Gênes plus d’hommages. Il fallait une leçon à cette bienfaisante fortune ; cinq ans d’exil se chargèrent de la lui donner. Cimon ne fut rappelé dans sa patrie que lorsqu’un revirement soudain de l’opinion y eut fait prévaloir la politique qui cherchait dans l’alliance de Sparte un