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Barthélémy pense que, dès cette époque, « l’ambition commença à corrompre la vertu même. » Je ne vois pas, pour ma part, dans Aristide un ambitieux ; il me plaît davantage et il est probablement plus juste d’imputer ses faiblesses au désir de ne pas perdre une seconde fois les sourires de la multitude. L’égalité parfaite était devenue, en dépit des lois de Solon, la loi fondamentale de la république athénienne. Il n’y était point de fonction qui ne fût accessible au moindre habitant de la cité. On n’en continuait pas moins de compter dans Athènes quatre classes de citoyens, — cinq, si l’on y veut comprendre les métèques, étrangers admis à la naturalisation. Les pentacosia-médimnes devaient posséder un revenu annuel de 500 mesures de froment ; les chevaliers en récoltaient 300 ; les zeugites ne pouvaient prétendre à ce titre qu’à la condition de produire au moins 150 mesures ; les thètes, véritables prolétaires, n’avaient à offrir à la patrie que leurs bras et n’en jouissaient pas moins, dans toute sa plénitude, du droit de suffrage. Attirés par l’appât d’une solde élevée, les zeugites et les thètes formaient généralement l’équipage des vaisseaux ; les pentacosia-médimnes et les chevaliers combattaient de préférence sur terre. Le service maritime a, de tout temps et en tout pays, été le lot des cadets de famille.

L’inégal partage des jouissances et des charges avait fini par diviser Athènes en deux factions. La démocratie athénienne était douce aux pauvres et aux humbles. Il n’était pas permis dans Athènes de frapper un esclave sur la voie publique. Ne pas le frapper, passe encore, mais lui permettre « de mener grand train, de vivre dans le luxe, de s’habiller comme un citoyen, » les disciples de Socrate ne laissaient pas de s’en étonner. « Un esclave, écrivait soixante ans après la mort de Périclès le célèbre auteur de la Retraite des dix mille, ne se dérange pas ici pour vous ! » Voilà ce qu’on n’eût jamais toléré à Sparte et ce qu’on ne devait pas voir à Rome. Cependant, comme il faut toujours à l’homme quelque victime, le peuple athénien prenait sa revanche sur tout ce qui était grand par l’esprit, par la naissance, par la richesse ou par le caractère. « Je pardonne au peuple, disait encore en ce temps-là Xénophon, son amour pour la démocratie. Rien de plus légitime et de plus naturel que de songer d’abord à son bien ; mais quand un homme qui n’est pas du peuple aime mieux vivre dans une démocratie que dans une oligarchie, c’est qu’il a des vues criminelles. » Le christianisme ne l’entend pas ainsi. Il permet sans doute « qu’on songe à son bien ; » il n’autorise pas ses fidèles à demeurer indifférens au bien des autres. Lorsqu’elle fait avec tant d’acharnement la guerre au christianisme la démocratie, à coup sûr, se trompe. Xénophon n’était pas