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dans sa défection les soldats de Jemmapes ; les légions du Rhin virent avec indifférence l’éloignement de Moreau, avec indignation sa présence dans l’état-major d’Alexandre.

Pausanias n’eût pu espérer de succès qu’auprès des ilotes. Il songeait, dit-on, à les soulever, quand son complot fut dénoncé aux éphores. S’il était permis de se laisser guider dans la critique historique par la vraisemblance, on trouverait, je crois, plus d’une raison de mettre en doute la culpabilité du glorieux vainqueur de Platée. Pausanias semble avoir été immolé aux craintes qu’il avait fait naître, plutôt que condamné froidement sur des preuves juridiques. Sa propre mère, il est vrai, leva la première la main contre lui, mais les mères de Sparte n’étaient pas des mères.

Quant à Thémistocle, le bannissement dont les Athéniens le frappèrent fut une satisfaction donnée aux Lacédémoniens, qui ne se souciaient pas de rester les seuls à supporter le reproche d’avoir confié le commandement de leurs armées à un traître. Thémistocle comprit que l’exil ne suffirait pas à la haine de ses ennemis. On ne laisse pas vivre un homme de cette valeur, quand on l’a gratuitement outragé. Sentant derrière lui le souffle de la meute envieuse qui s’acharne toujours à la poursuite du courage malheureux, Thémistocle quitta brusquement Argos où il avait un instant songé à fixer sa retraite et passa dans l’île de Corcyre. Les Corcyréens avaient joué un singulier rôle pendant la guerre médique ; ils armaient leurs vaisseaux et les gardaient au port. La Grèce indignée voulait les punir ; Thémistocle intervint, et son éloquence réussit à détourner les Grecs d’impolitiques rigueurs. Il rendit ainsi un signalé service à sa patrie d’abord, aux Corcyréens ensuite. La pensée d’avoir à protéger l’illustre banni n’en épouvanta pas moins Corcyre. La reconnaissance devient importune quand elle est accompagnée de quelque péril. On se rappelle avec quelle dignité le roi Louis XVIII s’éloigna en 1796 de Vérone. Thémistocle ne mit pas moins de bonne grâce à soulager les Corcyréens du poids de son infortune. Traqué par les agens qui avaient promis sa mort à l’inimitié de Sparte, il traversa le territoire des Molosses, franchit les monts qui le séparaient de la mer Egée et alla s’embarquer à Pydna, au fond du golfe de Salonique. A qui pouvait-il dès lors recourir, si ce n’est au grand roi, dont une âme plus vulgaire aurait peut-être appréhendé la vengeance ? Thémistocle vint s’asseoir au foyer de Xerxès et mourut gouverneur de Magnésie.

Sévère jusqu’au bout envers Xerxès, l’histoire lui a reproché d’avoir fait succéder à une ambition sans limites un goût immodéré pour les plaisirs. Cette dernière allégation est probablement aussi fondée que l’autre. Que voulait-on que fît Xerxès après les revers