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l’auteur aurait peut-être changé cet endroit, si ses ennemis ne s’étaient pas si fort applaudis de cette critique. »

Une critique plus sérieuse est celle qui concerne le Discours au roi. On connaît ce passage où Boileau déclare que, nourrisson à peine sevré des muses, il ne chantera pas Louis XIV avant d’être plus sûr de ses forces. En attendant, ajoute le poète, je m’exerce sur de moindres sujets.

Et, tandis que ton bras, des peuples redoute,
Va, la foudre à la main, rétablir l’équité
Et retient les méchans par la peur des supplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices.


Le chevalier de la comédie trouve là une image singulière. Qu’est-ce que ce bras dont parle Boileau ? Peut-on dire qu’un bras va la foudre à la main? Est-ce une hardiesse poétique? est-ce une faute de langage? Le marquis, tout disposé d’abord à blâmer l’étrange figure quand il ignore qu’elle est de Boileau, fait subitement volte-face dès qu’il apprend que son idole est sur la sellette. Le chevalier, au contraire, en homme qui venge ses amis des sévérités de l’aristarque, prolonge à plaisir la discussion. C’est Emilie, la sage et bienveillante Emilie, qui clôt le débat en ces termes :

… Pour moi, je ne dis oui ni non.
Je condamne avec peine et sans peine j’admire.
Peut-être est-ce bien dit, mais il eût pu mieux dire,
Et les vers dont on parle auraient moins d’embarras
S’il eût mis la personne en la place du bras.
Pour parler nettement, par exemple, on peut mettre :
Que, la foudre à la main, le roi peut tout soumettre.
Par exemple, on peut dire, en parlant de son bras :
Qu’il va lancer la foudre au milieu des combats.
En parlant de lui-même, on peut dire avec grâce :
Que, suivi de la foudre, il va punir l’audace.
Mais dans cette occurrence un meilleur écrivain
N’aurait pas dit qu’un bras va la foudre à la main.

Rien de tout cela n’est bien méchant, et Boileau n’aurait pas eu besoin d’un grand courage pour assister à la première représentation de la Satire des satires, comme Molière avait assisté à la première représentation du Portrait du peintre.

La comédie de Boursault avait été imprimée en 1669. Dix-huit ans plus tard, Boileau atteint d’une maladie assez grave avait été envoyé par son médecin aux bains de Bourbon-l’Archambault. Il y était depuis un mois, fort attristé par momens, fort inquiet de ne pas guérir, quand il reçut une visite sur laquelle il ne comptait guère. On a souvent raconté cette visite de Boursault à Boileau, on a dit que Boursault, receveur des tailles à Montluçon, apprenant que Boileau se trouvait dans son voisinage et qu’il y manquait d’argent,