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mère, son père ou son tuteur[1]. » C’est ainsi que les préjugés de l’éducation et la marque de l’époque subsistent dans les têtes en apparence les plus hardies. Il n’est peut-être pas superflu de rappeler que Saint-Just avait composé, peu d’années auparavant, un poème licencieux à l’imitation de la Pucelle.

Combien mieux inspirée et plus féconde s’est montrée sur ce point la théorie protestante ! « L’Écriture sainte, dit le règlement ecclésiastique des écoles de Halle (1526), n’appartient pas seulement aux hommes, elle appartient aussi aux femmes, qui attendent comme eux le ciel et la vie éternelle. » Conformément à cette vue, dans les pays réformés, les écoles de filles se sont développées comme celles des garçons. On peut dire que, sauf de rares exceptions, pour nos jeunes filles il n’y a ni instruction secondaire ni instruction primaire supérieure hors des maisons ecclésiastiques. Les pensionnats laïques vivent dans une telle crainte de l’évêque qu’ils vont peut-être plus loin en leur zèle que les couvens. C’est une chose à peine croyable qu’une grande intelligente et libérale ville comme Paris n’ait pas encore fondé une école secondaire pour les jeunes filles. Si parmi les nombreux ordres religieux qui se sont partagé l’enseignement des filles il en est de bien intentionnés, d’instruits, de dévoués à leur tâche, beaucoup d’autres, par défaut de lumières ou par timidité, sont les instrumens d’un parti. La grande préoccupation en général, c’est le pensionnat annexé à l’école, pour lequel on garde les maîtresses les plus distinguées et auquel on attire les élèves les plus favorisées de la fortune. Les changemens sont trop fréquens, les mêmes personnes passent trop d’une occupation à une autre, allant de l’école à l’asile, à l’ouvroir, à l’hospice ou à la cuisine, pour pouvoir être de bonnes institutrices. L’abolition graduelle de la lettre d’obédience est une mesure nécessaire à laquelle les communautés sont déjà à moitié préparées. Une autre mesure consisterait à rendre titulaires de leur emploi les instituteurs ou institutrices congréganistes : dans l’état actuel, les congrégations sont titulaires ; elles disposent des emplois, les donnent ou les retirent à tel ou tel de leurs sujets. Le sujet est le serf de la communauté : la mesure demandée ferait du congréganiste une personne.

Avant tout, il est nécessaire de reprendre en main et de compléter les écoles normales d’institutrices[2]. C’est ici qu’il importera de se montrer difficile sur les choix et de quitter d’anciens erremens ; nombre de dames privées de fortune, tombées dans la

  1. Gréard, la Législation de l’instruction primaire, 1, p. 769.
  2. Il y a jusqu’à présent 79 écoles normales d’instituteurs tandis qu’il n’existe que 16 écoles normales d’institutrices.