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fonctions de délégué que pour livrer, moi artiste, à la fois nos admirables collections et les hommes courageux restés à leur poste pour les défendre. L’accusation est odieuse : jugez-en par ces citations que j’emprunte à un écrivain qui ne peut être suspecté de tendresse ou de complaisance à mon égard.

Voici ce qu’écrivait en 1871, trois mois après les événements, dans un article de la Gazette des Beaux-Arts, M. Darcel, ancien sous-conservateur des musées impériaux du Louvre, présentement directeur de la manufacture nationale des Gobelins : « Les trois délégués étaient de caractères différents, du reste « fort polis tous les trois.

« M. à O., méthodique et conciliant, tenait à ce qu’il fût bien entendu que ses fonctions n’étaient que provisoires et qu’il ne les avait acceptées ainsi que ses collègues qu’à la seule fin d’empêcher les gens de la commune d’envahir le Louvre ; nous n’avons pas cru que les artistes délégués qui ont remplacé l’administration légale eussent prêté la main à un incendie des musées. Le hasard a fait que nous en connaissions deux sur trois (M. O. et M. Héreau), de telle sorte que nous avons pu souvent converser avec eux. De ces conversations, du soin qu’ils prenaient pour constater, au moyen de scellés posés en notre présence, l’état actuel des galeries, du maintien à leur poste de quelques-uns de nos collègues que la notoriété n’avait pas désignés aux destitutions de la commune, nous inférions que bien que partageant à des degrés divers les opinions de la commune, ils s’étaient mis là afin de sauvegarder les musées contre les coquins qu’elle renfermait et qui tourbillonnaient autour d’elle. »

Et plus loin, M. Darcel trace de moi ce portrait : « Petit, nerveux, susceptible, plein de lui-même », il ajoute : « Néanmoins comme il était très honnête homme, il ne voulut prendre en charge les collections qu’après en avoir fait l’inventaire. »

« Il commença son inventaire par la galerie Lacaze, ce qui était facile, il changea même deux tableaux de place, et ce changement exécuté par lui a été respecté ; puis il inventoria la salle Henri II et enfin le salon des Sept-Cheminées, de façon à pouvoir ouvrir ces salles au public. Le même jour, on apposa les scellés sur les portes des armoires ou réduits où la plupart des joyaux, des gemmes et des émaux avaient été cachés. Ces réduits étaient dans le cabinet de M. Barbet de Jouy. »

Dans ce même article, à la page 22 :

« Les délégués Héreau et D… lui firent demander (à M. Barbet de Jouy) de les recevoir et lui présentèrent une déclaration par laquelle ils se constituaient gardiens des scellés en l’absence du personnel révoqué. M. Barbet de Jouy fit ajouter à leur acte : qu’ayant pris rendez-vous avec eux pour reprendre l’opération commencée et interrompue le 16, il resterait dans son cabinet comme gardien des collections, ce à quoi les délégués consentirent de bonne grâce. »

M. Darcel raconte alors comment j’ai soutenu M. Barbet de Jouy dans ses revendications, comment, grâce à la résistance des délégués des artistes aux ordres de la commune, les cachettes ne furent pas ouvertes. Je ne crains pas d’affirmer ici que M. Barbet de Jouy m’a dit depuis et à plusieurs reprises qu’il m’en gardait une éternelle reconnaissance.