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française ? Que peuvent-ils répondre désormais à ceux qui les accusent. de ne vouloir rentrer au sénat que pour préparer la ruine des institutions nouvelles, de déguiser sous leur titre vague de conservateurs toutes les arrière-pensées de réaction politique et religieuse ? Quel est d’un autre côté le rôle de ceux qui, en prétendant garder leurs sentimens libéraux et constitutionnels, se font les alliés des opinions dont M. le comte de Mun est déclaré le porte-drapeau ? Le récent message de Frohsdorf ne fait que rendre plus sensibles toutes les impossibilités, toutes les incohérences qui troublent la vie nationale, et c’est ainsi qu’avec toute sa sincérité bien évidente M. le comte de Chambord n’est pas plus heureux dans ses manifestations d’aujourd’hui qu’il ne l’a été il y a quelques années. En 1873 il renversait par une déclaration fameuse toutes les combinaisons de restauration monarchique dont il ne désirait peut-être pas bien ardemment le succès. Aujourd’hui avec sa lettre il risque fort d’avoir porté le dernier coup à cette alliance conservatrice qui publiait récemment son manifeste et qui va subir l’épreuve décisive des élections sénatoriales du 5 janvier.

Que veut-on et que peut-on faire sérieusement avec ces excès d’opinion, avec ces résurrections d’un idéal suranné, avec ces programmes de fantaisie, œuvre d’une pensée solitaire et devenue presque étrangère à la marche du monde contemporain ? Assurément M. de Falloux, qui est plus ou moins désavoué par la dernière lettre de M. le comte de Chambord, a un sentiment plus vrai et plus profond des choses lorsqu’il rappelle à tous les chercheurs de l’absolu qu’il ne faut pas « méconnaître les réalités qui nous enveloppent et poursuivre des chimères qui nous échappent. » M. de Falloux est-il un ami bien enthousiaste de tout ce qu’a fait la révolution, de cette société moderne qui nous enveloppe, qui est sortie du travail de près d’un siècle ? On n’a pas à le rechercher : il est du moins de son temps ; il sait, comme il l’a dit plus d’une fois et comme il vient de le répéter, que les fleuves ne remontent pas leur cours, qu’il y a des conditions de société désormais irrévocables, qu’il y a un ordre nouveau avec lequel et dans lequel il faut vivre. Il a assez de lumières pour voir ce qu’il y a de puéril et de dangereux dans ces condamnations prétentieuses de tout ce qui existe, dans ces confusions perpétuelles de la religion et d’un parti, dans ces déclarations d’incompatibilité entre les intérêts religieux, conservateurs, et une forme nouvelle de gouvernement. Assurément M. de Falloux reste un vrai politique lorsqu’il dit dans ses récentes pages sur la contre-révolution : « Il y a parmi les hommes loyaux des opiniâtretés difficiles à vaincre, il y a aussi des extrêmes qu’on ne réconcilie jamais entre eux ? mais entre les extrêmes il y a toujours un milieu où pénètre la modération et où elle fait germer ses fruits. Je crois fermement que, entre l’extrême droite et l’extrême gauche, entre la contre-révolution