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prisons, que le ministère de la marine doit, selon nous, s’adresser pour faire cesser en Nouvelle-Calédonie une inégalité de sexe aussi dangereuse qu’immorale.

La réclusion des femmes changée en transportation sur une large échelle, comme cela s’est pratiqué déjà pour la Guyane française, nous paraît être un bienfait autant pour le colon astreint à la résidence que pour les infortunées qui subissent dans nos maisons centrales de correction une peine longue, flétrissante et sans résultat. Au lieu d’un travail et d’une incarcération qui châtient les corps et les âmes sans les régénérer, nous voudrions voir les clientes de nos prisons dans une vallée de la Nouvelle-Calédonie, appliquées à faire le bonheur des libérés, des anciens condamnés dont la direction de la transportation aurait remarqué le bon vouloir, le repentir et la bonne conduite. Ce que nous demandons est peut-être le rêve d’un utopiste. Nous n’en persistons pas moins à croire que la vie de famille, la vue des enfans, la culture de la terre, l’élevage des troupeaux comme en Australie, inclineraient vers le bien des natures qui, comme toutes les natures humaines, ne peuvent être absolument rebelles à un retour vers la vertu.

Lorsque les Anglais eurent perdu leurs colonies de l’Amérique du Nord et avec elles les colonies pénitentiaires de la Virginie, sir John Banks, qui avait accompagné le capitaine Cook dans un deuxième voyage autour du monde, indiqua à son gouvernement l’Australie comme une terre excellente pour la déportation. Le lieu ne pouvait être en effet mieux choisi : un continent presque aussi grand que l’Europe et offrant toute sécurité contre les évasions.

Dès que la proposition de sir John Banks fut adoptée et mise en pratique, on vit la population se diviser en Australie, comme cela se produit déjà à Nouméa, en deux classes ennemies et bien distinctes : celle des immigrans volontaires et celle des libérés. Par la suite, beaucoup de ces derniers prirent la qualification « d’émancipés purs, » parce que du jour où ils furent mis en liberté, ils ne reçurent des magistrats aucune réprimande. Pourquoi les libérés français dont je parlais plus haut ne voudraient-ils pas eux aussi conquérir ce titre de « purs ? » Nous ne voyons à cela rien d’impossible.

Quant à la séparation en deux classes distinctes de la population, elle est très à regretter, le peu d’étendue du territoire ne permettant pas aux deux castes rivales de s’y mouvoir à l’aise. En nous emparant des Nouvelles-Hébrides avec lesquelles nos relations sont déjà journalières, ces rivalités disparaîtraient, et nous pourrions offrir aux colons de toutes les catégories des espaces sans limites à défricher.


EDMOND PLAUCHUT.