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contre les satires de ne se point cacher. Je leur réponds que l’auteur ne les citera point devant d’autre tribunal que celui des muses, parce que, si ce sont des injures grossières, les beurrières lui en feront raison, et si c’est une raillerie délicate, il n’est pas assez ignorant dans les lois pour ne pas savoir qu’il doit porter la peine du talion. Qu’ils écrivent donc librement. Comme ils contribueront sans doute à rendre l’auteur plus illustre, ils feront le profit du libraire, et cela me regarde. » Quoi ! Boileau s’est engagé à ne pas citer ses contradicteurs, les plus violens même, les plus injurieux, devant un autre tribunal que celui des muses, et dès la première riposte le voilà qui requiert le parlement de lui venir en aide! Je sais tout ce que l’on peut dire à ce sujet. Une satire publiée chez un libraire, une comédie représentée sur la scène, ce sont choses bien différentes. Livrer aux huées de la foule le nom et la personne d’un poète satirique est-ce lui appliquer la peine du talion? Nullement. Boileau a provoqué ses adversaires en champ clos; déserter la lice et frapper l’ennemi sur un terrain où il ne peut se défendre, c’est une sorte de guet-apens. Oui, tout cela est vrai, et cependant il est impossible de ne pas remarquer ici l’étrange démenti que Boileau se donne à lui-même. Entre la déclaration du poète et la requête de l’avocat, la contradiction est trop brusque.

La Critique des satires de M. Boileau ne fut donc pas représentée au théâtre du Marais, mais la pièce fut imprimée bientôt sous un titre modifié, elle s’appelait simplement la Satire des satires. Au moment de lancer son œuvre dans le public, Boursault, malgré sa courtoisie naturelle, était fort animé contre Boileau. Ce n’était pas l’attaque du poète qui l’irritait, c’était le démenti dont nous venons de parler, la requête au parlement, l’arrêt de ce tribunal traitant les comédiens de farceurs et appelant sa pièce une œuvre diffamatoire. Que de choses il voulait répondre et au poète et aux juges! Le frère aîné de Despréaux, Gilles Boileau, eut vent de la chose, et craignant peut-être quelque indiscrétion de la part de Boursault, il le fit prier de ne pas mêler son nom dans cette affaire. Boursault était irrité, il était jeune et fort étourdi ; n’allait-il pas se trouver entraîné à citer quelque mauvais propos de Gilles sur Nicolas? On sait combien le frère aîné, membre de l’Académie française depuis 1659, s’était montré jaloux en 1666 de l’éclatant succès des Satires. Il crut bon de recommander le silence à Boureault en ce qui le concernait lui-même, et ce fut Corneille, le grand Corneille, son confrère à l’Académie, qu’il chargea de cette petite négociation. Ces curieux détails nous sont révélés par une lettre de Boursault dont personne encore n’a fait usage. Au troisième volume de ces lettres, il y en a une qui porte cette suscription : A Monsieur B. de l’Académie française, frère de monsieur D... il faut lire sans hésiter : A