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Portrait du peintre, il avait annoncé à ses amis qu’il assisterait à la première représentation. Il y vint en effet très bravement, et se plaça au rang le plus en vue du public. Boileau n’eut pas le même courage; dès qu’il sut que la comédie de Boursault, la Critique des satires de M. Boileau, était affichée dans les rues de Paris comme devant être jouée prochainement, il mit tout en œuvre pour en faire interdire la représentation. Il adressa une requête au parlement qui lui donna gain de cause. Voici les termes de cette requête, retrouvée de nos jours à la Bibliothèque nationale et publiée par M. Hallays-Dabot[1] :


« Vu par la chambre des vacations la requeste présentée par Maître Nicolas Boileau, avocat en la cour, contenant qu’il a appris par une affiche, qui a été mise en tous les carrefours de cette ville de Paris, que les comédiens du Marais jouant actuellement en la rue du Temple devaient représenter sur le théâtre, vendredi prochain, une farce intitulée la Critiqua des satires de M. Boileau, qui est une pièce diffamatoire contre l’honneur, la personne et les ouvrages du suppliant, ce qui est directement contraire aux lois et ordonnances du royaume, n’étant pas permis aux farceurs et comédiens de nommer les personnes connues et inconnues sur les théâtres; à ces causes, requérant estre fait défense au nommé Rosidor, qui a annoncé ladite farce, et autres comédiens de la mesme troupe et tous autres, de représenter sur le théâtre ni ailleurs, en quelque sorte et manière que ce soit, ladite pièce, intitulée dans les affiches la Critique des satires de M. Boileau, ni l’afficher et annoncer de nouveau, à peine de punition corporelle et de 2,000 livres d’amende... »


La peste ! deux mille livres d’amende, sans compter la punition corporelle ! Cette requête irritée reçut des juges un accueil favorable; défense fut faite à Rosidor et à tous autres comédiens de représenter, d’afficher, d’annoncer la farce de Boursault.

On éprouve d’abord un vif étonnement à la lecture d’une telle requête, en se rappelant certaines paroles que Boileau venait d’écrire dans sa préface de 1666. Cette préface est intitulée : Le libraire au lecteur. Le libraire donc, c’est-à-dire Boileau en personne, commence par défendre l’auteur des Satires contre ceux qu’a irrités sa franchise. Il les prie de considérer « que le Parnasse fut de tout temps un pays de liberté, que le plus habile y est tous les jours exposé à la censure du plus ignorant, que le sentiment d’un seul homme ne fait point de loi, etc. » Puis il ajoute : « J’ai chargé encore d’avertir ceux qui voudront faire des satires

  1. V. Histoire de la Censure théâtrale, p. 34. — La requête de Boileau se trouve parmi les manuscrits de la bibliothèque nationale, fonds Delamarre.