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d’altercations et de discours. Les chefs de bandes s’interpellent sur les champs de bataille avant le combat, ou du haut des rem pars avant l’assaut ; les femmes se jettent dans la mêlée, l’injure ou la prière à la bouche ; les envahisseurs haranguent les peuples dont ils ravagent le pays : tout ce monde effréné, sans cesse en mouvement et en action, parle, comme il agit, avec emportement. Les récits qui nous en présentent l’image ont l’intérêt et la variété pittoresque d’un poème : on croirait déjà lire les chansons de geste.

Parmi tant de manifestations spontanées des sentimens individuels et de l’opinion de la foule, nous ne voyons rien ou presque rien, pendant tout le VIe siècle, qui indique nettement des habitudes constantes de discussion publique sur les affaires de l’état ou la convocation périodique d’une assemblée générale. Clovis, avant de s’emparer du royaume des Francs ripuaires, vacant par la mort de Sigebert, harangue les habitans de Cologne et se fait élever sur le pavois au milieu des applaudissemens que son discours a provoqués. Thierry Ier, roi d’Austrasie, sollicitant le secours des leudes de Clotaire son frère contre les Thuringiens, se rend à la revue du printemps, au « parlement fervestu ; » il enlève l’adhésion des guerriers par une allocution chaleureuse qui nous est un exemple des discours tenus dans les réunions du champ de Mars et du champ de Mai. Sous le règne de Chilpéric un concile d’évêques est convoqué à Paris. Le roi les reçoit, dit Grégoire de Tours, « auprès d’une cabane faite de ramée, » et leur offre un « bouillon de volaille et de pois chiches, » que plusieurs refusent, par crainte du poison. De longs discours sont prononcés dans le synode. Gontran, roi d’Orléans, tient un plaid solennel auquel assistent les députés des états voisins ; la discussion s’aigrit et s’échauffe : « Puisque tu ne veux pas rendre les cités qu’on te demande, s’écrient les députés, nous savons que la hache est entière qui a tranché la tête à tes frères ; elle te fera bientôt sauter la cervelle. » Gontran, pour toute réponse, fait jeter à la tête des députés « du fumier de cheval, des herbes pourries, de la paille, du foin, de la boue puante des rues de la ville. » Voilà l’éloquence des barbares et les mœurs parlementaires du VIe siècle. En tout cela, nul indice bien précis d’institutions régulières ou même d’usages établis : ce sont de purs incidens, que le hasard produit, que la circonstance amène ; l’intérêt seul du moment a provoqué ces réunions et ces discours. Les premiers Mérovingiens ont l’air de négliger le principe germanique de la délibération commune sur de communs intérêts ; ils laissent tomber en désuétude les coutumes séculaires de leur pays. Il semble que l’immense désordre des invasions ait troublé et désorganisé les envahisseurs à l’égal des peuples envahis. Sous le roi Sigebert d’Austrasie,