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le bourgeois de Paris, tout cela finira mal. Écrire d’ennuyeux éloges, à la bonne heure! Voilà une œuvre qui n’expose à aucun péril. Donc, ô muse téméraire, s’il faut absolument que vous rimiez, exercez-vous à rimer des panégyriques. — Je ne puis, répond le poète. Ces louanges-là me paralysent. J’ai beau me torturer l’esprit, l’inspiration m’abandonne, la rime s’enfuit, la langue résiste, et s’il me vient quelques vers à la pensée, ce sont des vers plus forcés encore et plus durs que ceux de Chapelain. Quelle différence, si c’est la raillerie m’appelle !

Alors, certes, alors je me connais poète.
Phébus, dès que je parle, est prêt à m’exaucer.
Mes mots viennent sans peine et courent se placer.
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville?
Ma main, sans que j’y rêve, écrira Raunaville,
Faut-il d’un sot parfait montrer l’original?
Ma plume au bout du vers trouve d’abord Sofal.
Je sens que mon esprit travaille de génie.
Faut-il d’un froid rimeur dépeindre la manie?
Mes vers comme un torrent coulent sur le papier;
Je rencontre à la fois Perrin et Pelletier,
Bardou, Mauroy, Boursault, Colletet, Titreville,
Et pour un que je veux j’en trouve plus de mille.


Ces vers sont de 1663, l’année même où eut lieu la bataille de l’École des femmes, l’année où fut joué le Portrait du peintre. C’est ce qui valut à Boursault l’honneur d’être placé en si triste compagnie. Il n’en sut rien d’abord. La pièce, composée en 1663, ne fut publiée par Boileau que trois ans plus tard, lorsque le poète, fort peu pressé d’imprimer ses premières satires, s’y vit obligé comme malgré lui par une monstrueuse édition, qui venait de paraître à Rouen.[1]. Attaqué ainsi à brûle-pourpoint, quand il se croyait depuis trois ans retiré du champ de bataille, Boursault se retourna brusquement contre l’agresseur. Personne cette fois n’eut besoin de le pousser. Il admirait Boileau comme il admirait Molière ; seulement l’intempérance satirique de Boileau déplaisait à sa nature bienveillante et loyale. Il n’admettait pas que la poésie put être employée à des injures personnelles. La critique, la discussion, à la bonne heure, pourvu que ce fût la discussion en prose ; n’était-ce pas profaner la poésie que de s’en servir comme d’un poignard? C’est là tout ce qu’il reproche à Boileau; il n’eut que le tort de le lui reprocher en plein théâtre dans une comédie qu’il intitula sans nul déguisement : la Critique des satires de M. Boileau.

Le jour où Molière avait appris qu’il serait mis en scène dans le

  1. Voyez ce que dit le libraire au lecteur dans la préface de 1666 : «Toute sa constance l’a abandonné à la vue de cette monstrueuse édition qui a paru depuis peu. »