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pouvons facilement reconnaître dans cette assemblée l’origine des états provinciaux du moyen âge. Un congrès des députés de toute la Gaule, forme première de nos états-généraux, complétait ce système représentatif. Supérieur aux réunions provinciales, comme celles-ci l’étaient aux curies municipales, le congrès, concilium commune Galliarum, s’assemblait à Lyon, chaque année, au mois d’août, auprès de l’autel de Rome et d’Auguste, dans un amphithéâtre élevé au confluent de la Saône et du Rhône : soixante députés, élus par les soixante cités et chargés d’un mandat impératif, y prenaient place. Là on contrôlait l’administration, on délibérait sur des mesures d’intérêt commun, on discutait la mise en accusation des magistrats gaulois et des légats impériaux ; l’exemple du légat Paulinus, accusé dans le congrès de l’an 225 et défendu par le député de Bayeux, Sennius Solemnis, prouve que le rôle de ces assemblées n’était pas vain et que l’éloquence qui animait ces graves discussions n’appartenait pas au genre démonstratif.

Ce n’était pas non plus une formalité illusoire, une garantie sans efficacité que ce droit des états d’envoyer à l’empereur et au sénat de Rome des députés avec une mission politique ; pour réussir dans ces périlleuses ambassades, qui intéressaient l’honneur et même le salut d’une cité ou d’une province, bien des qualités étaient nécessaires ; il fallait, comme dit Plutarque, « du talent, de l’adresse et de la vigueur. » Pendant les guerres civiles d’Othon et de Vitellius, les légions de Cécina brûlaient et pillaient les cités des Helvètes, qui tenaient pour Othon ; la province leur envoya un député. Celui-ci harangua ces vainqueurs furieux avec une éloquence si pathétique, avec des gestes si expressifs, il les remua et les retourna si bien qu’il fit tomber de leurs mains le fer et la flamme ; il sauva son pays des plus cruelles extrémités. Parfois les magistrats dénoncés en province allaient se défendre eux-mêmes au tribunal de César ou à la barre du sénat. Sous Trajan, un ami de Pline le Jeune, l’orateur gallo-romain Rufin, étant consul ou duumvir de la cité de Vienne, son pays, avait aboli comme immoral et scandaleux un jeu public où figuraient des lutteurs nus. Ses envieux l’accusèrent à Rome d’avoir commis une illégalité. Rufin comparut devant le sénat : sa forte et grave éloquence fit une impression telle que non-seulement il confondit ses accusateurs, mais que le sénat voulait supprimer à Rome et en Italie l’usage aboli à Vienne. Le Paysan du Danube, immortalisé par La Fontaine, qu’était-il, sinon l’un de ces mandataires des populations opprimées qui allaient du fond de l’empire jusqu’à César protester contre le brigandage des proconsuls, avec l’espoir, parfois réalisé, de trouver un Marc-Aurèle sur le trône ou d’exciter dans le sénat quelques mouvemens de pitié et d’indignation ? Son