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retentissans : l’âme tragique et pathétique qui éclatait dans les crises de la patrie indépendante, qui agitait les foules, qui exaltait les orateurs, s’était retirée de cette éloquence tranquille, bornée dans ses perspectives, contenue dans ses élans ; la main d’un maître avait tracé le cercle que les audaces de la parole ne pouvaient franchir. Plutarque a bien senti cette diminution de l’antique éloquence, lorsque, vers la fin du premier siècle, il a voulu conseiller et diriger les orateurs grecs, ses contemporains. « Je ne vous dirai pas, écrit-il dans ses Préceptes politiques, ce que Périclès se disait à lui-même toutes les fois qu’il mettait sa chlamyde pour aller à l’assemblée : Songes-y bien, Périclès, tu commandes à des hommes libres, tu commandes à des Grecs, tu commandes à des Athéniens ! Pour vous, lorsque vous êtes à la tribune, ne perdez pas de vue le tribunal du proconsul ; rappelez-vous que ses pieds sont au-dessus de votre tête. Prenez donc une chlamyde plus légère, et, comme l’acteur, ne sortez pas de votre rôle. » Selon Plutarque, ce rôle devait être avant tout moral et philosophique. Maintenir la concorde entre les citoyens d’un même état, entre les états d’une même province, corriger les lois, veiller sur la prospérité publique ; donner au peuple le bonheur et la paix, puisque la gloire lui est interdite ; consoler les douleurs du patriotisme et prévenir ses imprudences, dissiper les illusions de l’orgueil national, tels sont, dit-il, les devoirs qui s’imposent à l’orateur et les services qu’il peut rendre à son pays.

La philosophie de Plutarque nous semble trop résignée, trop découragée ; l’éloquence de la tribune, même alors, n’était pas tout entière dans ce programme modeste ; ce qui lui restait de liberté autorisait des ambitions plus brillantes et suggérait des résolutions plus viriles. Il ne faut pas réduire les curies antiques aux proportions de nos conseils municipaux ; la curie gouvernait une cité, c’est-à-dire un état, et non une seule ville : les trois provinces de la Gaule, sous l’empire, comptaient soixante cités, dont chacune était plus étendue qu’un de nos départemens. Un ressort aussi large donnait de l’importance à la curie, un certain éclat à ses délibérations ; l’éloquence d’ailleurs n’était pas confinée dans ces assemblées locales, ni réduite à défendre les libertés d’un municipe : des intérêts plus généraux sollicitaient son appui, de plus vastes scènes lui permettaient de déployer sa puissance. Au-dessus de la curie, au-dessus de l’assemblée populaire de chaque état, il y avait l’assemblée provinciale, qui se tenait tous les ans et réunissait les représentons des cités de la province ; on y rédigeait un cahier des vœux et des doléances que des mandataires choisis portaient à Rome et soutenaient de leur parole devant le prince ou devant le sénat. Nous