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du génie, à celles-là même qui différaient le plus de ses propres inspirations. Il venait d’écrire en 1662 toute une dissertation sur la Joconde de La Fontaine pour montrer comment le poète était resté poète en s’inspirant d’Arioste, tandis qu’un plat traducteur, M. de Bouillon, n’était autre chose qu’un copiste infidèle. L’année suivante, quand il vit l’École des femmes attaquée de toutes parts, il se mit résolument du côté de ceux qui soutenaient le charmant et hardi poète, comme si, pressentant dès 1663 l’auteur du Tartuffe et du Misanthrope, il eût voulu le préserver du découragement. C’est du milieu de la bataille que ces strophes aimables prirent leur vol :

En vain mille jaloux esprits,
Molière, osent avec mépris
Censurer ton plus bel ouvrage ;
Sa charmante naïveté
S’en va pour jamais d’âge en âge
Divertir la postérité.

Que tu ris agréablement!
Que tu badines savamment!
Celui qui sut vaincre Numance,
Qui mit Carthage sous sa loi,
Jadis, sous le nom de Térence,
Sut-il mieux badiner que toi?

Ta muse avec utilité
Dit plaisamment la vérité;
Chacun profite à ton école;
Tout en est beau, tout en est bon ;
Et ta plus burlesque parole
Vaut souvent un docte sermon.

Laisse gronder tes envieux;
Ils ont beau crier en tous lieux
Qu’en vain tu charmes le vulgaire,
Que tes vers n’ont rien de plaisant.
Si tu savais un peu moins plaire,
Tu ne leur déplairais pas tant.


On devine si l’auteur de ces vers dut épargner l’imprudent qui venait de faire jouer le Portrait du peintre. Attaquer un ennemi de Molière, c’était double profit pour Despréaux; il vengeait un grand poète en même temps qu’il ajoutait un nom à la liste de ses victimes. Précisément à cette date il composait une œuvre où, délibérant avec lui-même sur les raisons de renoncer à la satire, il finissait par repousser tous les conseils pusillanimes et s’obstinait dans sa résolution d’être le poète satirique de la France. L’occasion était bonne pour lancer un trait à Boursault, Boileau ne la manque point. On se rappelle l’enchaînement des idées : — Prenons garde, se dit