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constitution politique de l’ancienne Gaule ; c’est dans cette anarchie qu’elle s’épuisait et se dévorait elle-même quand la conquête romaine la surprit. Croit-on que les passions surexcitées n’aient trouvé, pour éclater, d’autre expression que les fureurs muettes et les stupides excès de la force brutale ? Est-il vraisemblable que la parole n’ait exercé aucune action sur les crises intérieures des états et qu’elle n’ait pas attisé les feux de ces discordes privées et publiques ?

Chez les peuples primitif, où surabonde une sève d’esprit désordonnée que l’art un jour rendra féconde, la verve d’imagination qui, sous l’empire de certains sentimens, crée une poésie héroïque ou religieuse, peut bien aussi, dans les fortes émotions de la liberté politique, susciter et produire une éloquence irrégulière, spontanée, pleine de chaleur et d’énergie. Les sociétés qui vivent à l’état simple, qui se contentent d’une ébauche de gouvernement et de civilisation, parlent d’autant plus qu’elles écrivent moins ; l’influence personnelle du citoyen sur la cité et des chefs sur la masse n’y est en effet suppléée par rien. À notre avis, les anciens Gaulois, moins policés que les peuples d’origine grecque ou latine, mais très alertes d’esprit et de langage, prompts à s’émouvoir, avaient dans leurs sénats, dans leurs comices populaires, sur leurs places publiques, des discoureurs, des tribuns, des meneurs d’assemblées et des boute-feux de sédition, comme ils avaient dans leurs camps et dans leurs forêts sacrées des bardes pour chanter les héros et les dieux. César a noté l’influence des harangueurs populaires sur le soulèvement des cités. Les personnages puissans et intrigans qu’il met en scène dans ses récits, les Dumnorix, les Indutiomare, les Ambiorix et d’autres, ont presque tous le talent de capter, de diriger et de retenir par d’insidieuses paroles ces multitudes barbares, à l’humeur mobile et turbulente, aux instincts exaltés, capables des emportemens les plus imprévus, toujours prêtes à briser un despote après l’avoir acclamé. Cette adresse est un des secrets de leur politique, une des ressources de leur ambition aux heures de crise où la confiance du parti hésite, où le vent de la popularité commence à tourner.

On distinguait chez les Gaulois plusieurs sortes d’assemblées publiques : l’assemblée militaire locale ; le conseil de guerre ; l’assemblée ordinaire de chaque cité où se traitaient les affaires ; les comités électoraux ; les réunions des députés d’une même région, représentant les états ligués pour une commune entreprise ; enfin l’assemblée de tout le pays gaulois, qui ne se convoquait que dans les périls suprêmes, lorsque l’indépendance de la Gaule était menacée. Les discours rapportés par César sont, pour la plupart, des harangues militaires ; il en est dans le nombre qui ont un caractère