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de la parole publique, des habitudes de discussion. C’est à ce double signe que se reconnaît dans la mêlée des événemens, à travers la variété des temps et des régimes, le caractère permanent de la tradition libérale ; par ce moyen, on peut distinguer les formes récentes et le fond séculaire des innovations politiques ; on assigne à chaque époque sa part de mérite dans l’œuvre collective et dans le progrès continu. Voilà le travail de recherche, d’analyse, d’explication que nous entreprenons aujourd’hui ; nous voulons savoir, d’après les historiens et d’après les inscriptions, quelles sont les institutions ou les coutumes de liberté, quelles sont les habitudes d’éloquence politique que les Gaulois et les Gallo-Romains ont connues et pratiquées, — ce qui a subsisté de ces coutumes après les invasions, ce que les usages barbares y ont ajouté ou substitué, ce qui s’est ainsi transmis à la France mérovingienne, carlovingienne et féodale pour aboutir aux états-généraux et provinciaux du XIVe siècle, pour y reparaître et s’y développer.


I

La Gaule, au temps de César, comptait environ quatre-vingts états indépendans et souverains, de constitution monarchique ou républicaine. Dans chacun de ces états, il y avait, à côté du roi élu ou du président annuel, un sénat aristocratique, qui partageait le pouvoir avec le chef suprême, une assemblée populaire où l’on nommait les généraux et les magistrats. Il y avait aussi, et c’est là le trait caractéristique de la situation, des partis acharnés à se supplanter, à se proscrire, des factieux omnipotens, des chefs de clientèle révolutionnaire qui, soulevant et soudoyant la plèbe, faisaient échec aux pouvoirs légaux, chassaient les rois, les présidens, les sénats et mettaient à la place des lois leur dictature. C’est ce que César indique avec une expressive simplicité : « Il existe en Gaule, dit-il, des particuliers plus puissans que le gouvernement ; esse nonnullos qui privatim plus possint quam ipsi magistratus. » Toujours en travail de quelque tyrannie démagogique, les communes gauloises, civitates gallicœ, vivaient dans une perpétuelle agitation entretenue par une discorde profonde. Ce déchirement général, incurable du pays gaulois, si utile aux desseins de l’étranger, avait singulièrement frappé l’esprit observateur de César : « Ici, dit-il encore, la division est partout ; non-seulement les villes et les bourgades, mais les familles sont pleines de dissensions et de cabales ; chaque maison, comme chaque cité, se partage en plusieurs factions. » C’est là l’exact résumé de ce que nous savons sur la