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il ne pouvait rien refuser, qu’il fit jouer en 1663 sa comédie du Portrait du peintre sur le théâtre de l’Hôtel de Bourgogne. »

Que vous en semble? On l’obligea presque malgré lui. Et qui donc? Des personnes auxquelles il ne pouvait rien refuser. Voilà des témoignages assez clairs. Je ne m’étonne plus que Boursault, quinze ans plus tard, oubliant les outrages de l’Impromptu de Versailles et ne se souvenant plus que de sa propre étourderie, ait voulu en effacer le souvenir dans ce poétique prologue consacré à la gloire de Molière.


III.

Ce fut vraiment une affaire très chaude que cette bataille littéraire de 1663, très chaude pour Molière attaqué par tant d’ennemis, très chaude aussi pour le pauvre Boursault, qui, engagé sottement dans la mêlée, y attrapa des horions si violens. La même étourderie qui avait attiré sur lui la vindicte de Molière l’exposa bientôt à d’autres coups d’estoc et de taille. Il y avait alors à Paris un jeune poète de vingt-sept ans dont les œuvres, transcrites plus ou moins fidèlement et colportées sous le manteau, commençaient à exciter une singulière émotion. C’était un esprit franc et libre, amoureux du vrai, ennemi du faux, du fade, du médiocre, un artiste ne cenéeur à qui la haine d’un sot livre inspirait de généreuses colères. Bossuet a parlé quelque part des chiens muets qui ne savent pas japper ; celui-là savait crier et mordre. Il avait le flair du mensonge, tout fut lui déplaisait, c’est lui qui le déclare, en s’appliquant avec verve cette image du chien de garde :

Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie,
Et ne le sens jamais qu’aussitôt je n’aboie.


Ces aboiemens, qui faisaient déjà beaucoup de bruit, en annonçaient d’autres encore et de plus menaçans. Le poète prévenait le public, surtout le public des auteurs, qu’on aurait affaire à un critique sans complaisance. Il parlait de sa rusticité, de sa grossièreté, de la force qui le poussait à ne rien déguiser, à nommer chaque chose et chaque homme par son nom :

Je suis rustique et fier et j’ai l’âme grossière,
Je ne sais rien nommer, si ce n’est par son nom,
J’appelle un chat un chat et Rollet un fripon.


Avec cela, il était capable d’enthousiasme ; la haine qu’il avait des sottises du temps ne faisait que le rendre plus sensible aux œuvres