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un sujet d’entretien, une distraction imprévue. Peu à peu les visites devinrent quotidiennes, et Carmen s’étonnait quand leurs voisins tardaient à paraître à l’heure accoutumée. Elle les grondait en riant et disait naïvement qu’Uxmal serait bien triste le jour où ils partiraient. A quoi George et Fernand répondaient qu’ils n’étaient pas près de le faire, qu’ils avaient entrepris de grands travaux ; puis de rendre compte de l’emploi de leur journée, des fouilles opérées, des découvertes faites ou espérées. Carmen semblait préférer Fernand, querellait George Willis, qu’elle essayait vainement de faire sortir de son flegme habituel et qui l’écoutait le plus souvent avec un calme impatientant, disait-elle. Suivant dona Carmen, il était tellement absorbé par ses idoles, ses serpens de pierre, ses hiéroglyphes, qu’il ne pensait qu’à eux et ne voyait qu’eux. Elle se trompait peut-être, mais le fait est qu’il poursuivait ses recherches avec la patience obstinée qui faisait le fond de son caractère. Fernand, tout aussi passionné, tout aussi curieux, oubliait volontiers près des deux sœurs les travaux du jour. Sa gaîté communicative réveillait celle de Carmen et appelait souvent même un sourire sur les lèvres de dona Mercedes.

Les après-midi se passaient sur la terrasse. A l’heure où le soleil baissait, colorant de teintes plus douces la cime des arbres, l’horizon lointain et le golfe, que les grandes hirondelles de mer rasaient d’un vol hardi, effleurant l’eau du bout de leurs longues ailes effilées, ils s’asseyaient sous une tente dressée à l’angle du monticule. Au souffle léger de la brise du soir, la forêt bruissait à leurs pieds. De son épaisse ramure surgissaient les ruines chaudement éclairées, profilant au loin leurs murailles lézardées, leurs formes bizarres, leurs sculptures étranges. Dans le grand calme de cette solitude, Carmen récitait quelque chant en langue maya, quelques fragmens de légendes mystérieuses qu’elle traduisait ensuite. Parfois il leur semblait en l’écoutant qu’une lueur brillante éclairait soudainement le passé, que les morts revivaient et murmuraient le secret de leur destinée dans ces ruines immenses qu’ils avaient habitées ; mais les vers suivans détruisaient l’illusion et semblaient envelopper d’ombres plus épaisses l’histoire inexplicable de cette civilisation éteinte.

Puis on parlait de la France, qui était pour ces deux jeunes filles une seconde patrie inconnue. Ou bien George Willis les entretenait de l’Asie qu’il avait visitée, des ruines égyptiennes qui offraient, assurait-il, une singulière ressemblance avec celles qu’ils avaient sous les yeux. Il avait beaucoup voyagé, beaucoup vu, bien observé. Mercedes, de sa voix douce et grave, les questionnait ; elle parlait peu d’elle-même, moins encore du passé et des souvenirs de son enfance.