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Avant d’entrer dans le bois, ce dernier s’approcha de lui.

— Un mot, senor, s’il vous plaît. Connaissez-vous un nommé Harris ?

— Pas du tout. Est-ce qu’il aurait, lui aussi, quelque grief contre moi ?

— Non ; Harris est marin. Il commande une goélette et fait ostensiblement le commerce entre Sisal et la Havane. En réalité il s’occupe de contrebande. Harris est un homme dangereux et violent et, je ne sais pour quelle raison, il est animé de mauvaises intentions contre dona Mercedes. Surveillez-le si c’est vous que le sort favorise, autrement je m’en charge. Je suis Espagnol, senor, fils d’Espagnol, et je ne permettrai jamais qu’on attaque une femme.

— Merci. Il a du bon, ce senor Rodriguez, se dit George en se dirigeant vers le bois. C’est vraiment dommage qu’il soit absurde à ce point. Tous ces hidalgos sont brouillés avec la logique. Le petit bois touffu dans lequel ils entraient formait une sorte d’oasis au milieu de la vaste plaine qui s’étend en pente douce de Mérida à Sisal. De grands tamariniers y entretenaient une ombre épaisse et étouffaient toute végétation parasite. Don Rodriguez fit halte à la lisière. — Arrêtez-vous ici, dit-il à son adversaire ; je vais par un détour gagner l’autre extrémité. Dans cinq minutes, si vous le voulez-bien, nous commencerons.

— C’est entendu, répondit George, et Dieu sait comment cela finira. Souvenez-vous, senor, que c’est vous qui l’avez absolument voulu, et que pour ma part...

— Soit, interrompit don Rodriguez avec un mouvement d’impatience, ces explications sont inutiles ; et il s’éloigna.

— Inutiles... maugréa George, tout en armant sa carabine, cela lui plaît à dire... Enfin !

Les cinq minutes écoulées, George entra dans le bois. Tout était silencieux ; quelques oiseaux seuls voletaient d’arbre en arbre, jetant par intervalles un petit cri d’appel. L’oreille tendue, attentif au moindre bruit, George resta immobile. Le craquement d’une branche morte à quelque distance l’avertit de la présence de son ennemi. Don Rodriguez devait se trouver sur sa gauche. Changeant de position, il gagna en rampant un tertre d’où il pouvait mieux surveiller son approche. En cet endroit, le bois formait une clairière ; les arbres, plus rares et plus vigoureux, laissaient entre eux des espaces découverts difficiles à franchir sans être vu. George en occupait le centre. Se redressant derrière un tronc qui lui servait d’abri, il vit reluire dans le fourré le canon d’acier de la carabine de don Rodriguez, qui manœuvrait de manière à tourner sa position. Il s’effaça de son mieux et ajusta. Ce mouvement le découvrit ;