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Molière. Je me hâte d’ajouter que Boursault n’insiste pas, et que le comte a tout l’air d’un hâbleur. Cette fameuse clé impatiemment attendue, le laquais ne la rapporte point :

Je n’ai peint vu de clé que la clé de la porte.


Il n’y avait donc là qu’une insinuation, mais l’insinuation avait suffi pour irriter le grand poète.

En résumé, l’exécution de Boursault par Molière dans l’Impromptu de Versailles paraît un châtiment bien peu proportionné à l’offense. Il faut certes que cela soit, puisque Chamfort, si peu tendre pourtant, si disposé à s’accorder tout en fait de vengeances littéraires, a reproché à Molière cette scène de l’Impromptu comme la seule mauvaise action de sa vie.

Une chose non moins étrange que cet emportement de Molière, c’est la douceur que lui opposa Boursault. Le pauvre diable avait reçu de terribles coups; un seul parut l’atteindre. Quoi! on ne me laissera pas même l’honneur d’avoir attaqué Molière! Je ne serai pas l’auteur de ma comédie! Je n’aurai été qu’un prête-nom! Cette idée révolte le jeune écrivain, et, faisant imprimer sa pièce, il y met une préface dédaigneuse où il rend insulte pour insulte. Avait-il raison de revendiquer absolument cette paternité? Avons-nous eu tort de dire que toute une mêlée d’opposans, hommes du monde et comédiens, l’avait poussé au combat? Voici l’explication qui concilie tout. Oui certes, le Portrait du peintre est l’œuvre de Boursault tout seul, et ce serait faire tort au Parnasse contemporain, comme dit Boursault, que de lui attribuer « un si médiocre ouvrage. » Boursault ajoute: « Les grands hommes n’ont pas d’occupations si frivoles, ils ne travaillent que lorsqu’il y a de la gloire à acquérir, et c’est dire assez clairement que Molière n’a rien à craindre d’eux. » Mais si le Parnasse, si les grands hommes (Corneille et son frère évidemment) n’ont pris aucune part à cette comédie, i] est évident que des influences très diverses, sans que Boursault lui-même en eût conscience, lui ont mis les armes à la main. Boursault le nie, qu’importe ! il est trop intéressé dans le débat à cette date pour tenir un autre langage. J’en crois plutôt Molière qui répète ici les nouvelles de la ville et de la cour, j’en crois surtout le témoignage ultérieur de Boursault lui-même et de sa famille. Lorsque sa petite-fille, Mme Hyacinthe Boursault, publia en 1725 le théâtre de feu Monsieur Boursault, le fils du poète mit en tête du premier volume un Avertissement où se lisent ces mots : « Ce fut dans le même temps qu’on l’obligea presque malgré lui à faire la critique d’une des plus belles comédies de Molière, qui est l’École des femmes. C’est pour obéir à ceux qui l’y avaient engagé, et à qui