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Leurs compagnons les avaient rejoints, et tous trois suivirent Mercedes, qui se dirigea vers l’angle du bâtiment. Un singulier contraste les y attendait. Toute la partie de la façade qu’ils venaient de contourner était jonchée de débris à demi enfouis dans les hautes herbes. Des socles de statues, des colonnes brisées, des fragmens de corniches détachées laissaient à peine la place à un étroit sentier entre leurs masses informes. En dépassant l’extrémité sud, ils se trouvèrent tout à coup en face d’un ravissant jardin rempli de plantes tropicales aux fleurs éclatantes et parfumées. Le sol, soigneusement déblayé, formait une terrasse qui s’inclinait en pente douce sur le flanc du monticule. Ce côté de la façade, moins vaste, mais admirablement conservé, offrait à l’œil une ligne continue de bas-reliefs dont aucune végétation parasite ne détruisait l’imposant effet. D’énormes poutres travaillées et fouillées avec art, et provenant des parties intérieures du palais, avaient été utilisées pour réparer les linteaux et encadrer les portes massives. Devant eux se déroulait un horizon immense, coupé de ruines grandioses, et dans le lointain une ligne vague, indécise, la mer qui confondait avec le ciel ses teintes azurées.

Dona Mercedes s’était établie dans ce coin du palais. Tout en réparant et en appropriant les pièces à son usage personnel, elle avait scrupuleusement respecté la construction et la décoration primitives. De vastes salles d’une hauteur prodigieuse, très simplement meublées et reliées par des portes étroites, se succédaient sur toute la longueur. Une cour intérieure, entourée de portiques, plantée de fleurs et d’arbustes, entretenait une délicieuse fraîcheur et séparait la partie habitée et restaurée du reste des ruines.

— Soyez les bienvenus, messieurs, et vous, mon cher curé, merci d’avoir fait une exception à vos habitudes en acceptant notre hospitalité. On vous voit rarement ici, mais je sais qu’Uxmal n’a pas le don de vous plaire.

— C’est vrai, répondit-il avec bonhomie, je préfère Mérida. On ne sait pas qui a construit ces palais, on ignore qui les a habités ; il a dû s’y passer des choses bien singulières. Les Indiens affirment que ces ruines sont hantées.

— Mieux à même qu’eux de savoir à quoi m’en tenir, reprit Mercedes, je puis vous affirmer qu’il n’y revient personne. Mais voici ma sœur Carmen.

La nouvelle venue paraissait avoir dix-huit ans et ne ressemblait en rien à Mercedes. Elle était jolie plutôt que belle, et sa physionomie expressive et mobile contrastait avec la régularité des traits de sa sœur. Elle salua sans embarras, mais avec curiosité les deux jeunes gens.

George Willis partageait son attention entre les deux sœurs et