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blanches, flottantes, bordées de rouge autour du cou et de la jupe, colliers et bracelets d’or.

— Il y aura de bien jolies filles, ajouta le curé, avec le clignement d’yeux d’un connaisseur, jolies et sages. Je crois même, mais là-dessus je ne puis rien affirmer encore, que dona Mercedes y sera.

— Qui est dona Mercedes ? demanda Fernand.

— Au fait, c’est la première fois que vous venez ici, et vous ne connaissez pas dona Mercedes. C’est la plus belle personne du Yucatan. Elle n’habite pas Mérida, mais Uxmal, à quelques milles d’ici. Vous avez entendu parler d’Uxmal ?

— Nullement.

— Quoi ! vous ignorez l’existence des ruines d’Uxmal ? Vous ne savez pas qu’il y a là, enfouie dans les forêts, toute une ville indienne, des palais gigantesques qui s’écroulent, des sculptures étranges, des hiéroglyphes indéchiffrables ? En 1854, deux Américains, Stephens et Catherwood, ont passé ici une année à étudier ces ruines, et ils ont publié à Boston un récit de leurs découvertes qui a fait, m’a-t-on dit, grande sensation dans le monde savant.

— C’est vrai ! reprit George Willis, et j’ai parcouru ce volume. Tout m’y a paru extraordinaire. Ainsi Uxmal existe, près d’ici, et est habitée.

— Dona Mercedes y vit, dit le curé d’un ton plus grave. Tout le territoire sur lequel se trouvent ces ruines lui appartient. C’est une jeune fille aussi singulière que belle et bonne. Venue ici, de Mexico, il y a plus d’un an, elle a fait réparer quelques pièces dans la casa del gobernador, et, malgré mes avis et ceux des gens sensés de Mérida, elle est allée s’y installer avec sa sœur, ses domestiques femmes et quelques Indiens. Dona Mercedes vient rarement ici et, comme on ne va jamais à Uxmal, elle ne voit personne.

— Et pourquoi ne va-t-on jamais à Uxmal ?

— Ces ruines inspirent dans tout le pays une terreur superstitieuse. Les Indiens n’en approchent qu’avec répugnance, tous ceux du moins qui sont bons chrétiens. On ignore par qui ces palais ont été construits. Leurs formes bizarres, les figures grimaçantes sculptées le long des murs, les fièvres qui règnent dans les forêts en éloignent tout le monde. Ce n’a pas été sans peine que dona Mercedes a pu trouver parmi les Indiens quelques serviteurs disposés à la suivre dans cette solitude. On raconte, ajouta le curé en baissant la voix, qu’autrefois ces ruines étaient peuplées d’idoles et que les Antiguos, comme on désigne ceux qui les habitaient, y faisaient des sacrifices humains. Pour moi, je n’en sais rien et n’en veux rien savoir. Les Indiens d’ailleurs n’ont là-dessus que des traditions bien vagues. Tout ce que je puis dire, c’est que je regrette que dona Mercedes ait eu cette fantaisie.