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faisaient descendre chez dona Micaëla. Mérida est la principale ville de cette partie du Yucatan, et dona Micaëla est, après le curé, la personne la plus importante de Mérida. Elle loue des chambres aux rares voyageurs de passage, elle fait leur cuisine, sait quelques mots d’espagnol et d’anglais, entend mal l’une et l’autre langue, et traduit en maya, pour le bénéfice de ses auditeurs, les nouvelles qu’elle bâtit sur les fragmens de conversation qu’elle peut surprendre et qu’elle croit comprendre ; dona Micaëla est la gazette de Mérida, une autorité qui ne se discute pas. Elle accueillit de son mieux les deux cousins, leur prépara en toute hâte un repas très passable, des chambres suffisamment propres, mais fut fort désappointée de ce qu’ils parlaient en français, langue dont personne à Mérida ne savait un traître mot. Prévenu par elle, le curé vint, suivant l’usage, rendre visite aux voyageurs.

Ainsi que presque tous les prêtres du Yucatan, le curé de Mérida était un métis, d’origine espagnole par son père. Il avait reçu une certaine éducation ; ses études, commencées à Campêche, s’étaient achevées à la Havane. Il parlait bien l’anglais et l’espagnol et possédait à fond la langue indienne. Ses paroissiens l’adoraient, et il le méritait. Excellent homme, d’humeur joviale, indulgent pour les peccadilles, inflexible sur le chapitre des droits de l’église, il ne trouvait pas mauvais qu’après avoir assisté au service divin jeunes gens et jeunes filles passassent l’après-midi à danser. Il avait un faible pour les combats de coqs, tolérait la loterie, passion des mayas, et prenait un vif intérêt aux courses de taureaux. Partisan déclaré des vieux usages, il excellait à donner aux assemblées patronales et aux foires locales de Mérida un éclat qui attirait de dix lieues à la ronde les rancheros et les Indiens.

Le lendemain était la fête de saint Cristobal. Depuis quinze jours le curé Carillo n’en dormait guère. Il dirigeait les préparatifs de la cérémonie, allant de l’église à la salle de bal, exerçant ses choristes, surveillant les femmes chargées de préparer les vêtemens du saint. Tout était prêt et non sans peine. Le curé Carillo tenait fort à ce que les deux voyageurs assistassent à la fête ; leur présence lui paraissait indispensable, et il employa toute son éloquence à les persuader. Assuré de leur assentiment, il donna libre cours à sa joie : — Vous verrez quelque chose de beau, leur dit-il, et puis c’est demain le bal des mestizas. — Il leur expliqua alors qu’après la cérémonie religieuse, dans l’après-midi, aurait lieu un bal de jour, célèbre dans tout le district sous le nom de bal des mestizas. Les Indiens n’y figuraient que comme simples spectateurs. Les rancheros ou propriétaires des environs y venaient avec leurs femmes et leurs filles. Les cavaliers n’étaient admis qu’en costume de vaqueras, et les danseuses étaient habillées en mestizas ; tuniques