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si fier du talent et de l’inspiration morale de son père. Quand l’édition de 1694 fut publiée, est-ce le fils de Boursault qui traduisit cette dissertation en français pour en faire la préface du Mercure et d’Ésope ! Le père Caffaro avait-il consenti à cet arrangement ou bien l’avait-il ignoré ? Tout cela n’est pas facile à débrouiller au milieu d’assertions contradictoires. Une chose trop certaine, c’est que cette lettre, imprimée sans nom d’auteur et attribuée simplement à une personne d’érudition, fut signalée bientôt comme l’œuvre du chef des théatins, et produisit un immense scandale. On connaît la lettre foudroyante que Bossuet adressa au vieux moine, on sait aussi avec quelle soumission le moine essaya de s’excuser[1]. C’est dans cette excuse si humble que se trouvent ces naïves paroles : « J’assure votre grandeur devant Dieu que je n’ai jamais lu aucune comédie, ni de Molière, ni de Racine, ni de Corneille, ou au moins je n’en ai jamais lu une tout entière. J’en ai lu quelques-unes de Boursault, de celles qui sont plaisantes, dans lesquelles à la vérité je n’ai pas trouvé beaucoup à redire, et sur celles-là j’ai cru que toutes les autres étaient de même. Je m’étais fait une idée métaphysique d’une bonne comédie et je raisonnais là-dessus… »

Il était donc dans la destinée de Boursault de se heurter aux plus grandes figures du siècle. Tout jeune il reçoit de Molière les coups les plus violens, il est cinglé par Boileau, maltraité par Racine[2] ; aux approches de la vieillesse, il voit se dresser contre le père Caffaro, son ami, c’est-à-dire contre un second lui-même, la censure écrasante de Bossuet. Nous savons avec quels témoignages d’admiration, avec quelle générosité candide il a répondu aux mauvais procédés des poètes ; qu’a-t-il répondu aux emportemens du théologien ? Sa correspondance n’en a conservé aucune trace, mais il faut bien que Boursault ait désarmé Bossuet, car le jour où l’évêque de Meaux, malgré la rétractation du vieux moine, reprend la question en son nom propre et trace d’une plume de feu ses Maximes et réflexions sur la comédie, il n’y a pas dans ces pages impitoyables une seule

  1. Bien qu’il n’y ait pas eu controverse, à proprement parler, l’ardeur de Bossuet dans toute cette affaire laissa le souvenir d’une discussion en règle. On en voit la trace dans les mémoires de Saint-Simon. A la date de 1694, Saint-Simon, parlant du maréchal. d’Humières mort assez brusquement à Versailles, ajoute la réflexion suivante : « On put remarquer qu’il fut assisté à la mort par trois antagonistes, M. de Meaux et l’abbé de Fénelon qui écrivirent bientôt après l’un contre l’autre, et le père Caffaro, théatin, son confesseur, qui, s’étant avisé d’écrire un livre en faveur de la comédie pour la trouver innocente et permise, fut puissamment réfuté par M. de Meaux. » Mémoires de Saint-Simon, t. 1er, chap. XII, page 128.
  2. Dans le préambule d’Artémise et Poliante, Boursault, vantant son désir de rendre justice à Britannicus, affirme que « M. Racine l’a désobligé sans qu’il lui en eût donné aucun sujet. »