Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/613

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de faux dans les vanités de la cour. Quelle est cette Rhodope ? Je l’ignore. Soyez sûrs que les spectateurs de 1701 ne l’ignoraient pas. Fénelon le savait, Saint-Simon le savait, et c’est probablement le duc-évêque de Langres, si bien initié à tous les secrets de Versailles, qui avait signalé cette figure au solitaire de Montluçon.

En regard de cette conversion de la belle Rhodope, une autre peinture assez fine encore et qui nous reporte dans le monde des La Bruyère et des Fénelon, c’est la conversion de l’athée du grand monde, du gentilhomme athée, du seigneur que je ne sais quel dégoût d’esprit blasé, je ne sais quelle expérience amère des superstitions et des duperies humaines, a conduit tout doucement à l’athéisme. Il y a bien des personnages de ce genre dans la galerie de La Bruyère. Celui-là, Boursault l’a connu, l’a aimé, et même a essayé de le convertir. Il s’appelait Desbarreaux. Rappelez-vous la lettre que Boursault lui adressait à propos de ce sonnet fameux si admiré du XVIIe siècle :

Grand dieu ! tes jugemens sont remplis d’équité.


C’est cette lettre qui est le fond même de la belle scène entre Ésope et Iphicrate. Le poète songe à Desbarreaux, il se souvient de ses discussions avec lui, de ses instances si respectueuses et si tendres, quand il met le sage aux prises avec l’athée :


ÉSOPE.
Vous qui paraissez être homme ferme, esprit fort,
Parce que d’un peu loin vous croyez voir la mort,
Si par quelque accident, maladie ou blessure,
Dans une heure, au plus tard, votre mort était sûre,
Penseriez-vous des dieux ce que vous en pensez ?
Et pour n’y croire pas, seriez-vous ferme assez ?
Parlez de bonne foi sur le fait que je pose.
IPHICRATE.
Si je devais mourir dans une heure ?
ÉSOPE.
Oui.
IPHICRATE.
La chose
Est un peu délicate, et je ne sais pas bien…
ÉSOPE.
Croiriez-vous quelque chose ou ne croiriez-vous rien ?
Vous et tous vos pareils, qui semblez intrépides,
A l’aspect de la mort vous êtes si timides,
Que, pour un insensé qui craint d’ouvrir les yeux,
Mille de cris perçans importunent les dieux.
S’il vous fallait mourir, que croiriez-vous ?
IPHICRATE.
Peut-être
Que mon cœur combattu par la peur du non-être…