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Loin qu’un zèle si pur ait rien que j’appréhende,
Sur quoi que ce puisse être où mon pouvoir s’étende,
Récompenses, honneurs, charges, bienfaits, emplois,
Tu peux de toute chose ordonner à ton choix.
À ta fidélité tout entier je me livre…

« Tout entier je me livre ! » Voilà un souverain comme on n’en voit guère. Prenez garde cependant : n’est-ce là qu’une idée en l’air, une fantaisie, une pure imagination ? Cet idéal du souverain est-il de l’invention de Boursault ? ou bien s’inspirait-il, même sans le savoir, de certains désirs qui avaient cours vers cette époque, et auxquels Fénelon dans son Télémaque avait donné une expression si harmonieuse et si pure ? Oui, on retrouve ici, sous une forme bien différente, quelque chose de la sagesse de Mentor et des rêveries de l’archevêque de Cambrai.

Je ne parle pas seulement de Télémaque ; il faut se rappeler aussi les Directions pour la conscience d’un roi. Dans ce manuel de piété pratique à l’usage d’un souverain, dans cette série de questions dressées d’avance en vue de son élève, Fénelon a écrit le commentaire de la scène qu’on vient de lire. C’est la XXXIVe direction, la XXXIVe question que le roi, — que le duc de Bourgogne, une fois parvenu au trône, s’il y monte un jour, — devra s’adresser à lui-même. Le rapprochement est curieux :

Un prince qui prête l’oreille aux rapporteurs de profession ne mérite de connaître ni la vérité, ni la vertu. Il faut chasser et confondre ces pestes de cour. Mais comme il faut être averti, le prince doit avoir d’honnêtes gens qu’il oblige malgré eux à veiller, à observer, à savoir ce qui se passe, et à l’en avertir secrètement. Il doit choisir pour cette fonction les gens à qui elle répugne davantage et qui ont plus d’horreur pour le métier infâme de rapporteur. Ceux-ci ne l’avertiront que des faits véritables et importans ; ils ne lui diront point toutes les bagatelles qu’il doit ignorer et sur lesquelles il doit être commode au public : du moins ils ne lui donneront les choses douteuses que comme douteuses, et ce sera à lui à les approfondir ou à suspendre son jugement si elles ne peuvent être éclaircies.

N’est-ce pas là l’Ésope de Boursault ? Ésope, dans cette comédie de l’année 1701, n’est-il pas le type de ces honnêtes gens, bien différens des rapporteurs de profession, des pestes de cour, que le souverain oblige malgré eux à veiller, à observer, à savoir ce qui se passe, et à l’en avertir secrètement ? Fénelon a raison : un tel homme n’avertira le prince que des faits véritables et importans, il ne lui dira point toutes les bagatelles qu’il doit ignorer. Il ne lui dira pas que Prexille, par exemple, est un cœur plat, un caractère