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Éloignés de la cour, tyrannisent les places ;
Casse les officiers qui, pour faire les fins,
Au lieu de cent soldats n’en ont que quatre-vingts,
Et, de peur que la fraude à la fin ne soit sue,
Ont des gens empruntés pour passer en revue ;
Exclut les conseillers de donner leur avis
Quand pendant l’audience ils se sont endormis ;
Bannit les avocats dont l’élégante prose
A l’art de rendre bonne une méchante cause ;
Abolit les brelans, ces honteux rendez-vous,
Où l’on tient une école à dresser les filous ;
Défend aux médecins, que nos maux enrichissent,
De prendre de l’argent que de ceux qu’ils guérissent ;
Enfin dans cet état, de l’un à l’autre bout,
Ésope a sans réserve inspection sur tout !


Voilà un programme vraiment original, très élevé sur plusieurs points, très amusant sur d’autres. Tout s’y trouve un peu mêlé, la haute politique et la menue police. Défense aux conseillers du parlement de s’endormir sur les fleurs de lis. Défense aux médecins de toucher des honoraires si leurs malades sont morts. Défense aux avocats de déployer une éloquence trop persuasive au service des causes injustes. Défense aux officiers (Louvois a dû sourire en écoutant ces vers, lui qui depuis longtemps avait réprimé ce pillage) défense aux officiers de réduire leurs compagnies de 20 pour 100. Et tout cela exposé du même ton que les principes fondamentaux de l’état. Quels principes ? La nécessité de respecter le droit des peuples, de maintenir les libertés publiques, de chasser les tyrans subalternes qui usurpent à leur profit l’autorité tutélaire du prince. Si le bon Léarque s’embrouille un peu dans son programme, l’auteur avait ses raisons pour le faire parler de la sorte. Il est certain qu’Ésope se serait exprimé avec plus de méthode.

Une chose plaisante d’ailleurs, c’est l’espèce de tremblement accusé par cette confusion d’idées. Le gouverneur de Cyzique a certainement plus d’une faute à se reprocher, et quand il vante à tort et à travers la haute sagesse du missus dominicus, on devine quelles craintes le préoccupent. Il est donc tout naturel que la belle Euphrosine soit médiocrement touchée de ce panégyrique. Elle se tait et soupire ; elle se tait beaucoup trop au gré de Doris, qui enrage de la voir si patiente. Il faut l’entendre, la belliqueuse soubrette, lorsqu’elle redit à Ésope lui-même ce qu’elle a déjà déclaré à Léarque. Elle feint de croire qu’Ésope est tout à fait désintéressé dans cette affaire, qu’il s’agit d’un autre prétendant à la main d’Euphrosine, et, le traitant comme un sage qui a beaucoup de crédit sur Léarque, elle appelle à son aide ce grand redresseur de torts :

Oui, monsieur, ma maîtresse aime depuis deux ans
Un gentilhomme aimable et des plus complaisans,