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gazettes manuscrites, ensuite avec la muse enjouée et toute la série de ses lettres, fut particulièrement frappé de l’espèce d’émotion produite par le Mercure galant. Le sujet, dont il avait vu lui-même ou deviné certains détails, lui parut digne d’être mis sur la scène. L’idée lui vint d’en faire une comédie, il l’écrivit, comme il écrivait toutes choses, sans beaucoup d’art, mais avec sa facilité courante, avec son naturel aimable, gentiment et honnêtement ; la pièce fut représentée à Paris le 5 mars 1683. Elle devait porter le même titre que le journal, et c’est même sous ce nom qu’elle est restée au répertoire ; quand on parle aujourd’hui du Mercure galant, on pense plus à la comédie de Boursault qu’au journal de Jean Donneau de Visé. Seulement Donneau de Visé, qui ne s’était pas fait faute, vingt ans auparavant, d’attaquer les maîtres sur le théâtre, s’imagina que Boursault, revenant aux mœurs littéraires de ce temps-là, voulait à son tour le traiter en maître ! Despréaux en 1668 avait eu maille à partir avec Boursault pour une liberté de ce genre, et le nom de Boileau, trop lestement inscrit sur l’affiche, avait fait interdire la représentation de la pièce. Cette fois, ce ne fut pas la pièce, ce fut le titre seulement que Donneau de Visé fit interdire. Comment donc Boursault va-t-il intituler sa comédie, puisqu’il ne peut plus l’appeler le Mercure galant ? C’est pourtant bien le Mercure galant qui est le vrai titre, c’est l’idée du Mercure galant, l’apparition du Mercure galant, la petite fièvre bourgeoise causée par le Mercure galant qui est le sujet de ses tableaux comiques. Mettra-t-il un autre nom de journal et se bornera-t-il à éveiller une allusion ? Cet expédient lui déplaît. Le journal doit être nommé sur l’affiche ou ne pas l’être du tout. On veut l’effacer ; qu’à cela ne tienne ! Avec ce tour d’esprit facile qui lui est propre, il en prend aussitôt et gaîment son parti : sa comédie s’appellera la Comédie sans titre. C’est la Comédie sans titre qui a été jouée devant les Parisiens et reçue avec applaudissemens le 5 mars 1683.

Quelle est l’idée de la pièce ? ou, plus simplement, quel en est le scénario ? Le voici : M. de Boisluisant, provincial naïf, est un admirateur passionné de ce journal qui occupe si fort la badauderie parisienne. Le Mercure galant n’a pas de lecteur plus assidu, d’ami plus dévoué, de partisan plus béat que M. de Boisluisant, qui serait disposé à tout faire pour l’auteur de ce merveilleux journal. Que M. Licidas, c’est le nom du journaliste, demande à M. de Boisluisant les choses auxquelles celui-ci tient le plus, sa fille et son bien, son bien et sa fille, M. Licidas obtiendra tout. Or, un jeune homme nommé Oronte est fort épris de Mlle Cécile de Boisluisant, et, afin de l’obtenir de son père, qui ne le connaît pas, il imagine de se faire passer pour le rédacteur du Mercure. Rien de plus aisé ;